1h du matin, dans la nuit de mercredi à ce jeudi 13 août 2015…

Les bars-musicaux affichent une ambiance estivale carrément festive. Logique, c’est de saison. Aux alentours du “Carré”, au centre-plage, l’esplanade Charles-Trenet grouille d’une population hétéroclite : les gens se croisent mais ne se voient pas. Ou plutôt, ils ne se voient plus. Les familles ont disparu du décor, des amoureux scrutent l’horizon et s’amusent à deviner et à compter les ports, les stations balnéaires, de Leucate à Port-Vendres, en fonction des éclairages publics, au loin, le plus loin possible.

Des groupes de banlieusards – comme ils disent – commencent à se former par affinités de plaques minéralogiques. Cette année, les 9-3 et autres 9-4 seraient battus en brèche par les 7-6, 6-7, 5-9, 6-2… et 3-1. Ce n’est pas une partie de tennis qui se joue là.

A cette heure ci, les vendeurs de beue (herbe de Cannabis), de joints et de coco ont succédé aux vendeurs de chichis, de glaces et de churros. Sur la plage, policiers et gendarmes tentent de faire la chasse à tous les trafics, épaulés notamment par un arrêté municipal qui interdit désormais toute consommation d’alcool sur le sable. Les tribus prisent en flagrant délit se voient confisquer bouteilles et flasques, et leur contenu vidé d’autorité sur le champ. Aucune négociation possible : car certains tentent désespérément d’emporter ailleurs leurs mélanges – sodas et cola avec whisky ou vodka ou rhum ou gin – jurant aller le consommer “à domicile”. Rien n’y fait. Les forces de l’ordre sont intransigeantes, incorruptibles, le message est clair, net et précis.

Il est bientôt 2h. Les bars commencent à se vider. Destination les discothèques de la station : celle du casino, le Playa, face à la mer avec une terrasse unique sur la Méditerranée, ou le Central-Beach (ex-Silver), flambant neuf dans l’allée piétonne principale, ou encore le Pot-Chic, Plage-Nord, le plus ancien club gay de tout le Languedoc-Roussillon qui a résisté à toutes les modes, à tous les complots, à toutes les farces et à toutes les générations sur près d’un demi-siècle. Dans ces trois lieux, il y en a pour tous les goûts, musicaux et sexual !, à pile ou face.

L’avantage ici, c’est qu’on peut tout faire à pieds pour aller se dévergonder jusqu’au bout de la nuit, jusqu’au bout de ses rêves, ou de ses fantasmes.

Seulement voilà, toutes ces tribus qui se déplacent d’une enseigne à l’autre à pieds, ne le font pas sans dommages collatéraux : avenue du Tech, à hauteur de la supérette InterMarché, trois éphèbes sautillent d’un rétroviseur à l’autre en tenue d’Adam (oui vous avez bien lu,  ils sont tout-nus et se prennent pour des libellules)… boulevard de la Mer, le veilleur de nuit de l’Hôtel-restaurant Le Lido dégage la route (c’est la énième fois ce soir qu’une bande de fêtards – “Des tarés !”, s’indigne-t-il – disposent poubelles et conteneurs de sorte à dresser des barrages sur la voirie)…

Inverser les poubelles d’une maison à l’autre, échanger les serviettes, les draps de bain et les maillots suspendus aux fenêtres, aux balcons… C’est le “summer cocktail” version L’Os Argelès, un sport d’été ici, presque une tradition. Comme de se déplacer à deux roues à partir de vélos empruntés dans les campings pour aller du village à la plage, et vice-versa, pour déambuler sur le front-de-mer…

Une Seat passe. A son bord, des passagers dont les corps s’échappent de l’habitacle (il y en a même un perché au sens propre comme au sens figuré dans la malle), torses-nus, déguisés en vahinés pour les un(e)s, en ressortissant hawaïen pour les autres munis d’un ukulélé factice et d’un collier de fleurs plastiques… Ils rentrent d’une soirée visiblement (très) arrosée, mais la nuit ne fait que commencer pour eux (et pour elles), en mode coquin en tout cas. Mojito, Margarita, Pina Colada et White Russian ont décuplé leurs envies : ils sortent leurs crocs et montent en gamme (c’est une image).

5h. Ou presque. C’est maintenant au tour des discothèques de se vider. Au total, ce sont près de 2 000 noctambules, en comptant celles et ceux sortis de la plage, du bois, des pelouses et des impasses par les balayeuses. Lentement mais sûrement, on sent le jour qui se réveille. Les premières odeurs de croissants envahissent l’atmosphère. L’apéro de la veille est bien loin maintenant, au fond des talons. L’envie de café ou d’un bon chocolat succède à l’ivresse d’une bière Skoll ou d’un Bloody Mary. Les chuchotements ont remplacé les cris. L’élixir a changé de camp, il est ailleurs.

5h et des poussières d’étoiles. Chez Negrell, la pompe à essence de la Plage, un trio immatriculé dans le 8-0 fait le plein de gasoil pour aller se vider à La Junquera. Ces jeunes originaires du département de la Somme interpellent de rares passants (à cette heure très matinale), soucieux de connaître l’itinéraire pour continuer la fiesta dans un cloaque, juste de l’autre côté des Pyrénées. Finalement, ils se souviennent qu’ils ont à bord un GPS : “Oui mais on ne sait pas écrire La Djunquerra ?”. Y’a encore du boulot.

6h. Rideau. Au rond-point de l’Arrivée, sur le pont de la Riberette, deux bandes s’affrontent… Ils sont une quinzaine. La baston tourne court, après une excursion sur le parking des commerçants. Chacun prend ses cliques et ses claques, ses marrons et ses châtaignes, et rentre à la maison.

C’est l’heure des livraisons. Les camions encombrent l’espace. Argelès-by-night est parti se coucher. Jusqu’à ce soir…

T.E. (The End).