Notre village, autant que nos souvenirs soient bons, a compté jusqu’à pas moins de cinq boulangeries. Une d’entre elles vient encore de fermer ses portes. L’hécatombe s’arrêtera-t-elle là ?

Le 27 février 2015, dans ces mêmes colonnes, parlant de « la boulangerie industrielle » en pour-parlers d’installation, nous écrivions : « Une chose est certaine. Si la volonté existe, le permis de construire peut-être retiré sans aucune pression, sans aucun objet suspendu au-dessus de la tête du maire ou plaqué contre son front. Nous allons attendre la suite. »
Et bien, la suite, nous l’avons. Un magasin vient de disparaître.

Les différences bien humaines

C’est évident. Aucun d’entre nous ne ressemble à l’autre et c’est très bien ainsi. S’il en été autrement, nous vivrions les derniers moments d’une civilisation, car nous n’aurions plus rien à apprendre de l’autre. Plus rien à apporter non plus. Chacun nous avons nos défauts et nos qualités. Parfois même la qualité de nos défauts. D’autre part, il est certain que nous ne pouvons faire autrement que de prendre en compte les comportements individuels. Mais ne devons-nous pas faire l’effort de les comprendre ? À notre avis, la tolérance commence là. Il n’en reste pas moins que nous devons aussi et surtout, regarder la finalité de toute chose. Les affaires d’ordre privé, restant du domaine privé. Elles ne nous regardent en rien.
Pour ce qui nous concerne aujourd’hui, la réalité est bien que notre village s’appauvrit d’un commerce, d’un lieu de rencontre, de vie.
Voilà la finalité. Lorsqu’un commerce disparaît, c’est toute l’économie de la cité qui s’appauvrit. Ne compare-t-on pas l’économie à une boule-de-neige ?
Ceci d’autant plus, dans notre milieu rural, ou il est très dur de construire, mais ou il est facile de tout perdre. C’est le propre d’une économie fragile.

L’installation de la « boulangerie industrielle »

Depuis que cette dernière est en activité, beaucoup d’Estagellois(es), ne serait-ce que par curiosité, sont allés chercher le pain à l’autre bout du village. Certaines fois, aussi, ayant eu un imprévu, la visite à ce nouveau commerce, s’est avérée inévitable. L’impression d’avoir un pain meilleur marché est aussi un élément. En cette période de crise, beaucoup d’entre nous comptons les centimes.
Les clients de passage, ne s’arrêtent plus sur la place ou presque plus. C’est le grain de sable qui a enrayé la machine du plus faible devant les vicissitudes de la vie, de tous ces aléas. En quelque sorte, la loi du plus fort sur le plus faible.
Nous devons ajouter, qu’avec cette nouvelle unité commerçante, est arrivée aussi la précarité. Celle du kleenex jeté, vite fait, bien fait. Ceci, au nom de la rentabilité financière.

C’est atroce pour ces jeunes pleins d’espoirs, qui pensaient avoir trouvé un « job » stable. Ne parlons même pas de rémunération permettant de vivre correctement.

La fermeture définitive de la boulangerie

Un pincement au cÅ“ur, une boule dans la gorge, comme lorsque l’on vient de perdre un être cher. Un goût amer sur les lèvres, qui donne le frisson dans tout le corps, de la tête aux pieds. Jusqu’aux bouts des orteils. Des larmes dans les yeux. Des larmes de colère non contenue qui éclatent comme un mauvais orage de grêle venant détruire la récolte la veille de la ramasser. Il en est ainsi de la boulangerie qui, depuis des dizaines d ‘années ouvrait sa porte à une clientèle fidèle, de passage, mais aussi à la jeunesse, aux aurores de quelque fête, venant quémander le croissant, le pain au raisin à l’arrière de la boutique. Envolés, tous ces rêves d’amitié, de convivialité, de rapports entre générations, du vivre ensemble. L’échoppe est définitivement fermée comme un cÅ“ur scellé, ravagé à tout jamais par des mains scélérates. F. Arago, depuis le haut de sa stèle, ne pourra plus apprécier les lève-tôt, achetant le pain encore chaud, avant de partir au travail. Il doit frissonner de honte. Une sensation de trahison, un sentiment de frustration d ‘abandon, d’impuissance devant l’intolérable. Le vol d’un passé que l’on aurait pu éviter. Des rêves enfouis, jetés à la poubelle, inondés par la rudesse d’hommes insensibles au vrai, au réel, à l’inestimable valeur de l’humain. Des souvenirs enfouis, cassés, démantelés comme des pantins. Brisés. Est-ce cela placer l’homme au centre de toutes les préoccupations ?
Pouvons-nous nous contenter du : « Il n’y a rien à faire » alors qu’une partie de nous, de chacun de ceux qui avons vécu ces années ou un pain au chocolat acheté en coulisse, avait bien plus de valeur qu ‘un lingot d’or ?
Nous pensons qu’une autre logique est possible. Celle de la concertation, du débat le plus large sans exclusive. Celle de l’écoute des attentes de nos populations, des habitants de notre village.
Faire de la politique autrement passe par ces dispositions qui peuvent, si la volonté existe, voir le jour très rapidement. N’est-ce pas cela qui est à l’ordre du jour pour notre société ?
Tout montre que oui. N’attendons pas que l’application de ces idées démarrent à Paris. Ce n’est pas ainsi que les choses se passeront. C’est ici, chez nous que cela commence. C’est ici, chez nous, que nous devons montrer notre responsabilité : faire face à l’adversité devant une société que l’on a fabriquée au nom du profit, du profit maximum, le plus rapide possible.
Encore une fois, nous attendons la suite.

Joseph JOURDA