Thierry Hainaut

Thierry Hainaut, 51 ans, marié et père de famille, demeurant à Béziers, a mis fin à ses jours la nuit dernière. Il estimait, après avoir subi les contraintes professionnelles issues des fusions des Caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) de Béziers et Montpellier, dans le département de l’Hérault, avoir été “tué professionnellement et détruit psychologiquement (…). Depuis deux ans, je me traîne misérablement dans ce qu’on appelle communément un “placard”. Je ne peux plus supporter qu’on me laiosse crever lentement sans même avoir pris la peine d’écouter mes appels au secours ni de m’expliquer pourquoi (…)”.

Avant de mettre fin à ses jours, il a adressé un mail à ses collègues de travail, à Béziers, Montpellier et Perpignan, pour expliquer son geste…

“Nous sommes le 29 février 2012. Il est 20 heures 15.

Si vous lisez ce mail, c’est que je vous ai quittés, définitivement.

Certains des destinataires de ce mail me connaissaient, d’autres pas.

J’ai tenu à vous informer de mon geste, car il est la conséquence directe de l’enfer psychologique que je vis au quotidien depuis 2 ans, que j’ai pourtant essayé de surmonter, de toutes mes forces, pour mon épouse et mes enfants, mais qu’aujourd’hui je n’arrive plus à assumer.

Certes, en mettant fin ce soir à mes tortures et angoisses de chaque jour, je règle mon problème. Mais il était de mon devoir de faire en sorte que cela puisse servir (peut-être …) à toutes celles et à tous ceux qui pourraient être dans ma situation, pour leur éviter d’en arriver là où je suis. C’est la raison de ce message.

Ma vie professionnelle m’a beaucoup gâté. Ayant commencé à travailler à la CPAM de Béziers en 1980 comme fichiste, j’ai eu la chance de pouvoir montrer que j’étais capable de faire des choses a priori intéressantes, puisque j’ai gravi un à un les échelons jusqu’au poste de cadre niveau 9 au bout de 29 ans de carrière.

Et puis il y a eu cette fusion des CPAM de Béziers et de Montpellier, qui a fait que depuis deux ans, je me traîne misérablement dans ce qu’on appelle communément un « placard ».

Je ne peux plus supporter qu’on me laisse crever lentement sans même avoir pris la peine d’écouter mes appels au secours ni de m’expliquer pourquoi.

C’est pourquoi j’accuse (…) de la CPAM de l’Hérault :
– de m’avoir mis dans un placard dès son arrivée, et de m’y avoir laissé pourrir en ne me confiant que quelques très rares tâches qui auraient pu être prises en charge par des cadres de « premier niveau », sans que ce terme soit péjoratif pour eux
– de n’avoir rien fait pour au moins essayer de trouver une solution à ma situation, alors qu’il en était informé
– de ne même pas avoir lu les compte rendus de mes EAEA 2010 et 2011, et les lettres que j’ai remises en ces occasions en demandant qu’elles figurent à mon dossier personnel, alors que son attention avait été attirée sur mon état à plusieurs reprises par mon responsable hiérarchique direct. S’il les a lus et qu’il n’a rien fait, c’est encore plus grave.
– d’avoir ainsi pourri mes deux dernières années sans me laisser la moindre chance de survie.

J’ai été : tué professionnellement, détruit psychologiquement.

Je croyais que le management consistait à travailler ensemble, en bonne intelligence, à déléguer, écouter, réunir, fédérer et valoriser les compétences de chacun.

Mais, telle une pièce de monnaie, la réalité de terrain à la CPAM de l’Hérault a deux faces :
– celle qui est affichée officiellement, bien cohérente et bien propre, avec projet d’entreprise et « prise en compte » des risques psycho sociaux
– celle de la réalité du terrain, pavée d’infantilisation, de changements de cap, d’actions sans intérêt, d’incohérences multiples et variées, d’ajouts de strates hiérarchiques, de solitudes et de mises en concurrence, de stress, de harcèlement, de désinformation, de destruction des formes de solidarité collective…

Je remercie infiniment : Messieurs Lionel Vergnes, directeur adjoint, mon responsable hiérarchique direct, Sébastien Jamois, Agent Comptable, et d’autres qui se reconnaîtront, de leur amitié indéfectible et de leur soutien moral permanent ; tous mes collègues, cadres et agents, qui ont su, par leurs mots et par leurs sourires amicaux, m’aider à traverser ces deux dernières années, sans même quelquefois mesurer l’étendue et la profondeur de la détresse psychologique qui était la mienne.
Mes amis du SNADEOS-CFTC et de la CFTC de la CPAM de l’Hérault, grâce à qui, pendant deux ans, j’ai pu entretenir l’illusion à mes propres yeux que j’existais encore un peu.

J’ai essayé de tenir bon, mais jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, c’était devenu vraiment trop dur, et je vois bien que je n’arrive plus à donner le change, au travail, et dans ma famille.

Je demande pardon à celles et ceux à qui je vais faire de la peine, et à qui je manquerai, au moins un peu.

Voilà, j’ai terminé mon chemin. Je souhaite surtout que, tant à la CPAM de l’Hérault, que dans les autres organismes de l’Institution, on se rende compte qu’il y a des gens qui sont malheureux du sort qui leur est fait, sans même qu’ils comprennent ce qui leur arrive, et qu’il ne s’agit pas forcément d’une affaire de salaire.

“La Gestion des Ressources Humaines doit d’abord passer par de la Gestion Humaine des Ressources”. Merci Maryse. Tu vois, j’ai retenu … Tu avais bien raison.

Si je ne devais pas être le premier, que surtout je sois, le dernier !

J’envoie notamment ce mail : à tout le Personnel de la CPAM de l’Hérault, aux retraités de la CPAM de Béziers, à beaucoup d’agents de Direction et de Cadres de l’Institution, à Monsieur Pierre Mayeur, président du COMEX, à Monsieur Frédéric Van Rockegheim, Directeur de la CNAMTS, à Monsieur Philippe Renard, Directeur de l’UCANSS, aux Conseillers de la CPAM de l’Hérault, à quelques amis et membres de ma famille, à la rédaction du journal Midi Libre, à Monsieur Elie Aboud, député de l’Hérault (Béziers).

Je pars sans haine vis-à-vis de qui que ce soit. J’ai seulement d’immenses regrets pour mon épouse et mes enfants de les abandonner. Je crois qu’ils avaient encore besoin de moi. Puissent-ils un jour me pardonner…

Je vous les confie, à vous, celles et ceux qui m’ont apprécié seulement pour ce que je pense avoir été : un homme droit, honnête et sincère, avec tous mes défauts et mes quelques qualités, mais avec des convictions, certes pas toujours dans le « politiquement correct », mais qui était capable de les assumer sans avoir à baisser les yeux.

Adieu. Nous nous reverrons peut-être un jour …. Mais que ce soit le plus tard possible.

Je m’appelais Thierry Hainaut, et j’aurais eu 52 ans le 31 mai 2012″.