Si la déliquescence du savoir et de la culture est depuis longtemps en marche parmi notre jeunesse en passe de devenir, à quelques rares exceptions prés, une population d’attardés, la crise sanitaire que nous traversons, ne fait qu’amplifier le phénomène.

N’oublions pas le travail de sape d’une majorité d’acteurs de la noble institution baptisée, Éducation Nationale, ministres successifs en tête.
Les parents ne sont pas en reste, je ne me priverai pas de les dénoncer : permissifs, convertis trop souvent en vrais-faux éducateurs et mauvais juges, tergiversant à la moindre occasion pour défendre leur enfant.
Il s’agit bien ici pour moi de parler, et d’aucuns me jugeront outrageusement sévère et ringard, de l’accélération du retard d’une croissance intellectuelle et morale devenue ainsi déficiente, d’un manque de réflexion et d’esprit critique pour notre jeunesse qui construira pourtant notre société et notre monde de demain.
Pas de chance en effet pour ces enfants et jeunes gens, élèves de primaire, collèges et lycées, obligés de rester enfermés chez eux pendant de longues semaines, coupés de leurs rythmes scolaires, de l’environnement de leur établissement, des liens noués avec leurs camarades assis sur les même bancs de classe….
Pas de chance car avec cette crise, la situation s’aggrave alors que les niveaux restaient déjà médiocres dans leur ensemble et que les élèves peu travailleurs, se contentaient souvent d’un minimum.
Le travail à distance accentue les disparités des niveaux et le troisième trimestre sera largement écorné, bien que les tuteurs, en l’occurrence les professeurs, aient bien joué le jeu (ou le double jeu), obligeant leurs élèves, autant qu’ils le pouvaient, à rester sur l’ouvrage.
Mais il est très difficile de tenir la distance dans la durée quand on reste isolé, confiné, pour reprendre ce vocable rabâché par les médias à longueur de journée, plus encore lorsqu’on est très jeune.
On peut comprendre dans un tel contexte que les élèves puissent se disperser, qu’ils jouent, qu’ils relâchent leur attention, qu’ils bâclent leur travail (quand il est fait) plus qu’à l’accoutumée, qu’ils rusent avec leurs professeurs virtuels.
L’élève peut s’enfermer dans un cercle vicieux. Il en sera hélas, sans se l’avouer, la première victime.
Concernant l’épreuve du baccalauréat, quelle valeur accorder, à l’obtention d’un diplôme évalué sur les pseudos notes d’un contrôle continu qui n’avait pas cette vocation en début d’année scolaire et qui restera boiteux sur l’ensemble du troisième trimestre ? Quelle sera la grille d’évaluation ? Elle passera aux oubliettes…
98 % des élèves obtiendront, fin juin, leur diplôme d’entrée dans l’enseignement supérieur. J’ouvre les paris pendant que les vannes vers l’université vont s’ouvrir.
Quel sens pédagogique donner encore à un retour en classe à la fin du mois de mai avec des effectifs très clairsemés voire inexistants?
Comment la volonté de l’élève, même pour les meilleurs (les effectifs restant très clairsemés), ne serait-elle pas mise à rude épreuve dans un tel contexte ?
Cette sortie du cadre rassurant et protecteur de l’établissement scolaire, de surcroît pour raison sanitaire, n’a-t-elle pas quelque chose d’angoissant pour tous ces jeunes gens?

L’utilisation boulimique, à la maison, des écrans, ceux des ordinateurs et des téléphones portables sous prétexte de suivre et d’enregistrer les cours à distance, pourrait-elle remplacer la relation humaine, spatiale et temporelle quand l’élève se déplace dans sa classe pour aller au tableau ? Non bien sûr.

Vive la crise ! Pour reprendre un slogan maintes fois utilisé par les humoristes et chroniqueurs, sauf que la note, dans tous les sens du terme, risque d’être salée, très salée même quand en première année d’université l’étudiant, dépassé par les connaissances requises pour suivre sa formation, sera obligé de décrocher sans trop comprendre ce qui lui arrive.
Tout simplement il ne sera pas au niveau.
Ce blocage pour 30 % environ d’étudiants de première année, n’est pas nouveau. Il s’amplifiera.
Mais ce qui m’inquiète plus que tout, c’est que cette situation, ce constat d’une médiocrité des apprentissages, deviennent banalisés, normalisés.
Les notions d’exigence et d’effort forgées par une volonté d’excellence perdraient alors dramatiquement tout leur sens.

Pierre Leberger