Le Phare de Béar sera-t-il le nouveau Mont-Saint-Michel des Pyrénées-Orientales ?

Ne soyons pas mauvais joueurs, bougons et grincheux, même si l’article publié le 31 janvier dernier dans le journal L’Indépendant « Le phare du cap Béar accessible aux visiteurs d’ici 2024 » à de quoi laisser perplexe et dubitatif.
Un bon normand avisé répondrait, si on lui demandait son avis : « Il y a du bon mais aussi du mauvais dans ce projet… »
Une relecture plus attentive de l’article en question, décliné en pleine seconde et troisième page du journal avec une très belle photo du phare, à de quoi nous mettre la puce à l’oreille, nous inciter à réfléchir plus sérieusement et à poser les vrais questions :
Quelles pourront être, en effet, les conséquences sur cet extraordinaire site de « vouloir accueillir davantage de public (60 000 marcheurs déjà recensés chaque année) en canalisant les cheminements », comme nous dit le maire d’Argelès-sur-Mer, Antoine Parra, par ailleurs président de la communauté de communes Albères-Côte Vermeille-Illibéris (CC-ACVI) ?
Les paysages de mer et de garrigues n’en perdront-t-ils pas de leur magie, de leur somptueuse beauté, de leur mystère ?
Sur l’étroite et merveilleuse route de corniche dominant la mer, comment faire face à un engouement tel que le nombre de promeneurs ou de cyclistes dépasserait les prévisions les plus optimistes ?
Comment gérer ces flux, pour reprendre un terme économique et environnemental à la mode ?
Au sujet des parkings et de leur situation, de la mise en place, nous dit-on, d’une barrière à reconnaissance de plaque, rien n’est précis et je peux le comprendre, car ce sera une des difficultés parmi les plus difficiles à résoudre.
Au premier abord, les belles envolées de MM. Parra, et Marty, maire de Port-Vendres, séduiront le quidam qui succombera aux sirènes d’une sémantique au goût du jour mais qui n’éclaire pas grand chose sur le fond…
Je cite les propos de ces deux élus :
« …valorisation et développement de l’offre culturelle, touristique, scientifique et environnementale… sécurisation et mise en valeur du site requalifié… renforcement du balisage des sentiers… accueil qualitatif… lieux équipés de pergolas, jardins horticoles et lieux d’aisance… renaturation (bigre !) et reconquête de la faune et de la flore… navette pour personnes à mobilité réduite… aménagement de nouveaux parkings… ».
Nous attendons un dossier étoffé, plus convaincant. Nous en sommes loin, nous n’en sommes qu’au clinquant de l’effet d’annonce.
Quelle sera la réaction des riverains exposés à un cadre de vie totalement transformé par un déferlement touristique ? Leur a-t-on demandé leur avis ? Et tous ceux qui ont leurs jolies petites maisons en contre bas du phare, non loin du sentier dit « du littoral » que diront-ils ?
Quant à « la frustration d’un public qu’il faudrait combler », pris d’une frustration relative à la fermeture (jusqu’à ce jour) du phare, comme le dit M. Parra, je n’en ai, personnellement, jamais entendu parler bien que je me rende très souvent sur le site pour faire de la randonnée, de la course à pied et pour respirer le bon air marin.
Quelle vocation, et cette question essentielle n’a pas été abordée, sera donnée aux bâtiments situés en contre bas photo ci-dessous) et maculés, à ce jour de graffitis et de formules obscènes sur leurs murs, (jamais effacés d’ailleurs, depuis des années) ?
Ne serait-il pas temps de présenter, dans l’un de ces bâtiments, les fabuleuses richesse archéologiques entreposées dans les anciens abattoirs de la commune de Port-Vendres et d’exposer, dans les autres, toutes les diversités de notre flore et faune méditerranéenne, qu’elle soit terrestre ou marine ?
Quant à la grande cour, elle serait un lieu de belle musique en accord avec le grandiose des paysages, et pourquoi pas, un lieu de découverte et de dégustation des produits du terroir.

Pour terminer, MM. Parra et Marty nous parlent d’une billetterie pour « la visite du seul phare accessible au grand public, en territoire français » : Cette billetterie générera, en haute saison, des files d’attente, qui seront une forme d’incongruité, dans ce site « intrigant qui ne dévoile pas tous ces secrets », comme vous le dites si bien M. Parra. Mais jusqu’à quand ?

Ne soyons pas les fossoyeurs de la magie d’un patrimoine maritime et paysager hors du commun en oubliant l’essentiel, et en croyant œuvrer pour les bienfaits d’une société de loisirs.

Cette magie, refuge des âmes sensibles, ne la transformons pas en une sorte de « parc d’attraction naturalo-culturel moderne » même s’il s’agit bien de la fin d’un monde que nous vivons…
Car bientôt, comble de la poésie et de son divorce définitif avec notre époque, comble de la dérision, c’est en scrutant l’horizon lointain, bien au-delà du phare de Béar, que les goélands argentés et les Fous de Bassan s’étonneront de croiser en haute mer les pales gigantesque de plusieurs dizaines d’éoliennes hautes de 270 mètres… au milieu d’immenses parcs commerciaux.
L’assujettissement de la nature et son enlaidissement par la technique deviendront alors irrémédiables.

 

 

Pierre Leberger
Ex conseiller municipal (commune de Port-Vendres)