Dans la France de 2020 est-il plus grave de vouloir faire un jogging que d’incendier un commissariat ?

Les pouvoirs publics et la presse parlent beaucoup de ces mauvais citoyens qui ne respectent pas assez le confinement et ainsi mettent en danger le reste de la population. Des inconscients, des irresponsables voire des criminels qui ne comprennent pas qu’ils prennent le risque de transmettre l’infection et d’engorger les services hospitaliers : ce sont bien entendu les joggeurs !

 

 

Bizarrement on parle moins ou alors avec une précaution gênée d’une autre catégorie de personnes ne respectant pas le confinement : l’émeutier dans les quartiers sensibles qui s’en prend depuis quelques jours aux policiers un peu partout sur le territoire national pour « venger » la blessure à la jambe d’un motard qui faisait du « rodéo urbain » à Villeneuve-la-Garenne.

Est-il devenu en France plus excusable de jeter des cocktails Molotov, de brûler des voitures, de caillasser les forces de l’ordre ou les pompiers plutôt que de faire un jogging ?

L’achat de la paix sociale par les pouvoirs publics et la victimisation par les médias de ceux qui rendent la vie impossible aux habitants des quartiers prioritaires et aux forces de l’ordre, n’est pas un phénomène nouveau certes, mais il est simplement confirmé dans cette période sanitaire exceptionnelle.

On se rappelle dès le début du confinement au mois de mars de la déclaration du secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez expliquant aux préfets :
« Ce n’est pas une priorité que de faire respecter dans les quartiers (sensibles) les fermetures de commerces et de faire cesser les rassemblements ».

Révélées par Le Canard Enchaîné, peu de médias avaient cru bon relayer ces déclarations préférant souvent parler des mauvais citoyens qui souhaitent courir, pique-niquer ou demander à assister aux obsèques de leurs proches…

Sauf qu’en cette période de privation des libertés le « deux poids deux mesures » met encore plus à mal notre sentiment républicain d’application de la même loi pour tous.

Ici on utilise un hélicoptère de la gendarmerie pour interpeler une famille qui se promène sur une plage bretonne (Ouest France le 19 avril), là on verbalise une septuagénaire venue saluer son mari devant une fenêtre fermée d’un EHPAD (Le Point le 14 avril), mais ailleurs toujours cette même gêne à faire preuve d’autorité face aux caïds des cités.

Les rares interpellations hier soir par la police ne font pas le poids face aux images des violences de la nuit dernière un peu partout en France.

Images qu’on retrouve peu dans la presse nationale jouant une fois de plus le jeu des pouvoirs publics de l’achat de la paix sociale à tout prix.

L’exemple le plus probant vient de Strasbourg dans le quartier de la Meinau où des émeutiers se sont filmés en train de jeter des cocktails Molotov sur la façade d’un commissariat de police aux cris de « Mort aux porcs !».

La vidéo a fait le tour des réseaux sociaux et a été reprise sur le site de la presse quotidienne régionale jusqu’à ce que le service de communication de la police nationale du Bas-Rhin envoie un message sur son compte Twitter :

« Une vidéo montrant des individus lançant des objets incendiaires sur un bureau de police circule actuellement. Cette vidéo n’est pas le reflet de la réalité. Aucun bâtiment de la police n’a fait l’objet de telles exactions à Strasbourg. Merci de ne plus relayer cette vidéo ».

Avec comme illustration un visuel explicite : « ATTENTION FAKE NEWS ».

Circulez il n’y a rien à voir ?

En fait, il faut bien décortiquer le communiqué :

« Aucun bâtiment de la police n’a fait l’objet de telles exactions », en effet cela ne veut pas dire que des cocktails Molotov n’ont pas été jetés la nuit dernière, mais pas directement sur le bâtiment de la police, en fait sur le même immeuble mais à l’arrière… ça change tout !

« Cette vidéo n’est pas le reflet de la réalité », cette affirmation est superbe. La vidéo existe et a bien été filmée hier soir par des émeutiers voulant immortaliser leurs exploits mais ce n’est pas « le reflet de la réalité ». On est une fois de plus en plein 1984 d’Orwell :

« La double pensée est le pouvoir de garder à l’esprit simultanément deux croyances contradictoires, et de les accepter toutes deux. Un intellectuel du Parti sait dans quel sens ses souvenirs doivent être modifiés. Il sait, par conséquent, qu’il joue avec la réalité, mais, par l’exercice de la double pensée, il se persuade que la réalité n’est pas violée. Le processus doit être conscient, autrement il ne pourrait être réalisé avec une précision suffisante, mais il doit aussi être inconscient. Sinon, il apporterait avec lui une impression de falsification et, partant, de culpabilité. ».

Après plus d’un mois de confinement, un aspect absurde et injuste de notre société est ainsi amplifié. L’achat de la paix sociale conduit encore plus visiblement à une contrainte accentuée sur certaines populations dociles et respectueuses de la loi et inversement à un laxisme voire un désintérêt pour la violence dans certains territoires perdus de la République.

Mais la réalité institutionnelle (celle des pouvoirs publics et des médias de masse) se concentre donc toujours sur cet irresponsable qui continue à courir en bas de chez vous !

Olivier Amiel
Docteur en droit
Conseiller municipal de Perpignan