– “N’est-ce pas encore une de ces démarches d’indignation stérile si prisées en notre pays que de s’insurger (en paroles et en manifestes outragés) contre le nom d’Occitanie ou toute autre appellation qui serait donnée à la région sans honorer correctement la Catalanitude du département ?

Qui peut faire croire, et croire lui-même, qu’un baptême officiellement octroyé à cette collectivité laborieusement bricolée par une volonté politique circonstancielle puisse recueillir sinon l’unanimité de 5,7 millions d’habitants du moins l’agrément de 13 départements et plus de 4 500 communes ? Ce n’est ni un référendum avec une majorité de 44,9 % des votants soit 1,6 % des habitants, ni les protestations de Perpignan ou les pèlerinages au Canigou qui peuvent valider un bon choix collectif.

Quel est le ciment affectif ou intellectuel qui puisse réunir les habitants de Lunel, d’Anduze et ceux de Lourdes, les élus de Valence-d’Agen et de Saint-Jean-de-Védas, les descendants des chapeliers de Caussade, les couteliers de Laguiole et les verriers de Palau-del-Vidre, les électeurs de Barèges, Rivesaltes et Nîmes ? Ce ne peut être ni l’histoire, ni la géographie, ni la gastronomie ou la religion, ni la mémoire d’un grand homme ou d’un évènement culturel majeur, ni même le rugby, le vin ou les corridas, ni un journal, ni le catharisme, ni la montagne ni la mer, ni un arbre, ni un art, ni un vent, ni la nostalgie du passé, ni la certitude du présent, ni même les taux de chômage ou de migrations. Et ce n’est pas un faisceau de singularités qui pourra souder la nouvelle collectivité, lui donner du souffle et du punch. La nostalgie peut fonder l’utopie et l’achronie, pas l’économie politique : or nous sommes là dans l’économie plus que dans la politique.

La région est, de Gourdon à Prats-de-Mollo, d’Alès à Vic-Fezensac, un puzzle aux éléments bigarrés qui ne peuvent s’accoler ni par la vertu de la langue, ni par une synthèse artificielle des différences ou des prétentions locales. Ce territoire hétéroclite voué à vivre ensemble, politiquement et économiquement, n’a finalement que deux forces d’union mais elles sont historiques et politiques, donc hors d’usage en l’occurrence : la France et la République. Cette région nouvelle, conçue pour relancer la décentralisation dans une République dite « indivisible », ne saurait se baptiser France 1 (car la plus nombreuse en départements), France 2 (en fonction des superficies comparées) ou France 5 (en fonction des populations) et de plus ces deux concepts unitaires souffrent d’une telle dépréciation populaire qu’ils perdent de nos jours tout pouvoir fédérateur. Il faut trouver autre chose.

Alors quand un problème est insoluble c’est qu’il est mal posé, qu’il faut s’extraire de son énoncé. La solution est toujours à l’extérieur du problème. Si l’autorité, la concertation, la négociation, les disputes ne parviennent pas à faire émerger une solution qui convienne, il faut changer la question, il faut modifier la démarche, il faut redéfinir l’objectif. Il faut changer de dimension et d’espace, et donc faire preuve d’imagination. Au lieu de triturer le passé, regardons l’avenir.

Si la politique, la géographie, l’histoire sont impuissants à unir les 13, faisons sortir les 13 de leurs passés et de leurs ego, de leurs craintes et de leur vanité, suggérons-leur de regarder devant et dehors, de penser au lendemain, de positionner la région au regard du monde et à l’horizon 2050. La région a une vocation, pas un héritage. Elle doit non pas gérer l’histoire ou l’existant mais créer l’avenir. La région sera une force économique ou ne sera rien. Pour cela la région doit parler à l’Europe, à la Méditerranée, au monde, sinon elle soliloquera dans son champ clos de 5 465 communes occitanes ou occitano-catalanes et passera son temps à répartir des subventions et à se quereller sur des préséances ou des postes.

Alors demandons aux déchiffreurs d’avenir, aux créateurs d’images et de concepts, d’imaginer le nom qui charme, qui impressionne, qui intéresse le monde et qui, grâce à cette attractivité, fasse prospérer aussi bien Barèges que Laguiole, Saint-Cyprien autant que Moissac, Cahors et Perpignan en parallèle, sans savoir si on y parle catalan ou occitan, mais en sachant qu’on y parle aussi anglais, allemand, espagnol … ou chinois. Il y a surement en cette région des dizaines de bureaux d’études et de communication capables de concevoir ce nom porteur de dynamique. Ils le feront mieux que des politiques jaloux de leur identité, des historiens pinailleurs ou des habitants atones ou rebelles. Et ils pourraient même le faire gratuitement en espérant que le gagnant se voit à son tour propulsé par ce concours vers une notoriété gagnante.

Que l’on organise donc un concours d’idées entre ces professionnels qui savent comment promouvoir une marque ou une entreprise. Demandons leur d’imaginer ce qui pourra intriguer, séduire, attirer les gens d’ailleurs et implanter la région X en caractères forts sur la planisphère économique de demain. Ce nom sera peut-être composite, tout à fait artificiel ou subliminal, il sera bref et sonore, intrigant ou mélodieux. Il parlera ou ne parlera pas d’Occitanie, d’Ovalie, de pays catalan, de soleil ou de Méditerranée. Qu’importe s’il a un panache conquérant ou séducteur.

Sortons de nos Petibonum et autres Aquarium ou Catalonium. Rengainons nos sentiments communautaires et nos ressentiments. Construisons la région non pas sur nos différences mais sur des ambitions communes d’avenir. Reconnaissons avec réalisme, et sans complexe, que dans un univers où les forces sont une résultante des masses, de l’intelligence appliquée et de l’image une exception culturelle aussi respectable soit-elle ne peut pas faire la loi, au bénéfice de son particularisme.

Les catalans ne gagneront dans la région que si la région est gagnante, donc armée pour aborder la compétition de demain. Et dans une région gagnante, les catalans ne gagneront pas parce qu’ils sont catalans et parce que la région arborerait leur nom mais seulement s’ils sont les meilleurs dans leur spécialité … à condition que cette spécialité soit de produire et non pas de politicailler”.

Jean JOUANDET (Saint-Cyprien).

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