Christophe Euzet est né le 2 avril 1967 (53 ans) à Perpignan. Marié et père de deux enfants, il réside d’ailleurs toujours dans le département des Pyrénées-Orientales. Juriste de formation, maître de conférence en droit public à l’université de Perpignan (UPVD), il est député de la 7e circonscription de l’Hérault (à Sète dont sa famille est originaire). Elu en 2017, membre de La République En Marche (LaREM), il siège d’abord dans le groupe majoritaire homonyme avant de participer à la fondation du groupe “Agir ensemble” en 2020. Nous publions ci-dessous, sous la forme d’une tribune libre, son point de vue argumenté et circonstancié sur la situation de confinement que nous traversons à nouveau.

 

 

 

-« De Covid… en trop pleins, il faut raison garder »

Tout comme la France compte, de longue date, soixante-huit millions de sélectionneurs pour son équipe nationale de football, elle dénombre également, désormais, autant de stratèges impitoyables et intransigeants en politiques publiques et en épidémiologie. En effet, les qualificatifs sur l’action de l’actuelle majorité, venus des bancs des oppositions et des micros tendus à la société civile, ne manquent pas, c’est le moins qu’on puisse dire depuis quelques mois, de sévérité et de férocité (1).

Mettons de côté, un instant, le fait que cette petite musique, qui inonde la sphère publique et les réseaux sociaux, n’est pas le reflet fidèle de ce qu’en pensent réellement nos compatriotes et oublions momentanément l’infernale difficulté que pose objectivement la gestion de cette crise, pour revenir sur les mots utilisés à l’emporte-pièce par tous les commentateurs, spécialistes autoproclamés des stratégies, des moyens et des finalités de l’action de nos pouvoirs publics dans cette affaire (2).

Car pour gouverner, il faut raison garder. Garder de la lucidité sur ce que l’on fait. Faire au mieux avec ce que l’on sait. Savoir s’adapter au mieux. Mieux connaître les défis que l’on doit affronter et ne pas perdre son temps à vociférer (3).

1. Vociférer ? Imprévision ! Improvisation ! Amateurisme ! Incompétence ! Provocation !

Imprévision du gouvernement ? mais oui, bien sûr ! peut-il en aller autrement quand les spécialistes des virus ne s’entendent pas sur une vision à quelques semaines concernant l’avenir de la pandémie ! Comment prévoir ce qu’on ne connaît pas et ce que les experts ne comprennent pas ?

Improvisation ? mais oui, bien sûr, encore. Il n’existe pas de partition pré-écrite pour jouer avec des instruments que l’on ne connaît pas ! Comment faire pour ne pas improviser et ne pas gérer à vue une question aux contours inconnus ! si le gouvernement s’en tenait à une position arrêtée et appliquait des méthodes toutes prêtes, le pays tout entier lui reprocherait son entêtement et son dogmatisme.

Amateurisme ? Pragmatisme plutôt ! Lorsque les spécialistes d’une discipline sont en difficulté pour faire face à une problématique qui les occupe durant toute leur vie de chercheurs, tout le monde, en comparaison, peut être qualifié d’amateur. Le pragmatisme consiste alors à s’associer les meilleurs d’entre eux afin de disposer des informations les plus fiables possibles. N’est-ce pas justement l’objet du Conseil scientifique créé à cet effet ?

Incompétence ? Mais justement, la compétence, le sens des responsabilités, le difficile « art de gouverner », c’est de savoir combiner les préoccupations dans leur ensemble : il s’agit ici de trouver le dosage délicat entre la santé de tous et la vie de notre économie ; entre la survie de ce qui fonctionne encore, ce qui fonctionne mal, ce qui ne fonctionne plus et les aides qu’il convient d’y apporter en conséquence… or, cela demande clairvoyance, ténacité, sens de la mesure, adaptabilité et responsabilité… c’est-à-dire beaucoup de compétences justement.

Incompétence ? toujours ? Rien ne va plus nous dit-on ! Mais que l’exécutif vienne à opter pour un confinement sévère et généralisé et il sera taxé de dogmatique, fermé, à la vue étroite, sans aucune considération pour les forces vives, commerçantes et industrielles du pays. Que l’idée d’un confinement partiel sur des bases géographiques ou sectorielles le saisisse et, sans délai, il sera taxé de prendre des décisions illisibles, puisque ne s’appliquant pas sur l’ensemble du territoire ; arbitraires puisque ne s’appliquant pas à l’ensemble des métiers. Bref, de naviguer sans boussole au détriment de l’égalité entre les Français. On y revient…

Provocation ? Provocation ?! Provocation ??? On frôle ici le ridicule. Mais enfin, quel serait l’intérêt, pour un corps d’élus qui aspirent à être réélus, de déplaire à leurs concitoyens et de les contrarier quotidiennement ? Il y aurait donc, dans la société, ceux qui aiment « les gens » et les commerçants (les opposants politiques notamment) et ceux qui leur veulent du mal (justement ceux qui se trouvent aux commandes du pays) ? On a connu stratégies politiques plus fines ! mais la vérité est qu’il est toujours confortable de prendre des décisions populaires et qu’en temps de crise, c’est par nature plus compliqué… En revanche, il est toujours plus facile de mordre le mollet de celui qui conduit, en hurlant avec les loups qu’il est un mauvais pilote (en oubliant que l’on pourrait un jour être appelé à conduire à sa place et sans jamais préciser, non plus, où l’on irait si on tenait le volant !). Les commentaires à peu de frais préfèrent généralement le style affirmatif et péremptoire, toujours centré sur un critère unique de préoccupation, qui néglige tous les autres. Aux antipodes, en bref, de l’exigence réelle de la décision politique, qui doit ménager les contraires et faire en sorte de les concilier. Passons-les en revue.

2. « Y’a qu’à, faut qu’on, y’avait pas qu’à, fallait surtout pas, il aurait fallu, il suffisait… »

« Y’a qu’à »… laisser filer et atteindre l’immunité collective ! Trump, il le fait bien lui ! quand tout le monde aura contracté le virus, ce sera fini ! C’est vrai, enfin, on le pense, car on en n’est pas sûr. Par contre, ce qui est certain, c’est qu’un virus se propage sur environ 60% d’une population avant que l’on atteigne l’immunité collective : en France ça ferait 40 millions de personnes à peu près. A 1% de mortalité, ça causerait, au bas mot 400 000 morts. A 2%, 800 000 décès dans les dix-huit mois… Qui l’accepterait ?

« Y’a qu’à »… tout reconfiner alors ! oui, mais l’économie s’arrêterait complètement dans ce cas ! Nous resterions en bonne santé, mais nous finirions par mourir de faim chez nous, avec une économie en faillite ! Qui le pardonnerait ?

« Y’a qu’à »… faire comme les chinois, donc ! Un confinement drastique mais qui ne dure que le temps nécessaire ! en voilà une solution ! mais il se trouve que les libertés que nous chérissons sont aux antipodes des méthodes qui ont été déployées au pays du Milieu pour mater l’épidémie. Nous n’accepterions pas le dixième des contraintes qui ont été imposées dans la province chinoise de Wu Han ! en tout cas, il faut souhaiter que n’ayons jamais besoin d’atteindre de tels niveaux de sacrifice. Qui les supporterait ?

« Faut qu’on »… arrête de discriminer et qu’on réouvre tous les commerces dans ce cas ! oui, bien sûr que c’est souhaitable dans l’absolu, mais la catastrophe sanitaire ne tarderait plus à nous saisir à la gorge : ceux-là même qui réclament aujourd’hui la liberté totale demanderont dès demain la sécurité sanitaire et s’émouvront de la saturation des hôpitaux en criant au scandale ! Ou placer la jauge ? les discothèques, les bars, les restaurants, les coiffeurs, les fleuristes, les centres équestres, les tatoueurs, les auto-écoles..? C’est compliqué et chacun considère qu’elle doit être fixée en direction des autres. Et pourquoi, une fois la jauge fixée, permettre à deux personnes de se rassembler dans un magasin, et pas à deux amis de prendre ensemble l’apéritif ? Qui s’en accommoderait ?

« Y’avait qu’à pas »…déconfiner si vite de toute façon ! c’est ça le vrai problème ! oui, mais c’est oublier un peu vite la levée de boucliers d’avant l’été où le pays tout entier réclamait son « droit » aux vacances et les saisonniers leur « droit à une saison normale ». Que ce serait-il passé, notamment pour nos commerçants, si nous n’avions pu profiter pleinement de notre été ?

« Il aurait fallu »… alors, ouvrir des lits supplémentaires depuis la première vague et anticiper la deuxième ! c’était ça la solution ! oui, encore, mais outre le fait que l’effort a été fait, que ce ne sont pas des lits qu’on trouve chez Ikéa et que les personnels qu’il faut pour les faire fonctionner demandent plusieurs années de formation, le nombre de lits, aussi élevé soit-il, ne sera jamais suffisant pour contenir une vague de grande ampleur due à une contamination massive !

« Il aurait surtout fallu »… écouter le grand gourou de l’épidémiologie en fait! le Marseillais rebelle ! oui, bien sûr, c’est l’évidence ! mais lequel ? Celui qui disait qu’il n’y avait pas d’épidémie ? celui qui disait que nous allions tous mourir en dehors des Marseillais soignés par lui ? ou celui qui prétendait que l’épidémie était terminée au printemps, juste avant que Marseille, à l’automne, ne devienne l’épicentre des contaminations en France ?

En définitive, « il suffisait »… simplement de faire comme les allemands ! Oui, mais à ce double détail près, pas anodin, d’une part que l’Allemagne prend actuellement des décisions similaires aux nôtres et, d’autre part, que nous ne sommes pas allemands, que nous n’avons pas du tout le même rapport à l’autorité et à la discipline, et qu’après tout, si nous en sommes fiers dans tant de domaines, on peut se demander pourquoi il en irait autrement en matière de COVID…

3. Enjeux réels, démagogie populiste, autoflagellation permanente : on est vraiment si mal lotis ici, en France, finalement ?

Comment trouver des solutions pertinentes pour la collectivité lorsque chacun, voyant midi à sa porte, prône la solution isolée qui donne satisfaction à sa préoccupation particulière ? Gouverner, c’est décider pour le sort d’une collectivité tout entière. Il n’y a jamais, dans la prise de décision, de perfection possible ; une décision est toujours un moindre mal, surtout en période de crise grave. En revanche, la décision qui concerne la collectivité ne peut pas être une simple somme de décisions particulières : elle doit être plus que cela ; c’est-à-dire que l’intérêt général suppose un arbitrage entre tous les intérêts individuels qui sont divergents par nature et que la décision prise doit l’être au bénéfice de la collectivité en son entier, qui les dépasse.

A cet égard, les maires qui appellent à la désobéissance civile en prenant des arrêtés contraires aux mesures nationales sont, sans nuance aucune, d’irresponsables pyromanes pour les uns, des incendiaires volontaires pour les autres, qui savent très bien ce qu’ils font.

D’abord, parce qu’ils trompent ceux qui en sont les « bénéficiaires », en leur faisant croire qu’ils pourront tirer profit de dispositions dont on sait à l’avance qu’elles seront annulées par les tribunaux (car ce n’est pas légal et les maires en question le savent pertinemment). Mais, surtout, parce que ces mesures populistes sèment le trouble dans l’opinion publique : lorsque l’on monte au front pour remporter une bataille, les sous-officiers ne remettent pas en cause les décisions des officiers. Sinon « le rang » n’y comprend plus rien. Et le manque de respect pour ceux qui se battent déjà est total !

La zizanie n’a jamais généré de grandes victoires, pas plus que de petites d’ailleurs. Elle mine le moral des troupes au moment même où il les faudrait combatives. Elle mène à la défaite. Ceux qui, dans les formations politiques de gouvernement, pensent pouvoir tirer profit de l’orchestration de ce désordre, font montre d’un manque fatal de perspicacité politique : les crises majeures ne bénéficient jamais aux formations démocratiques.

Seuls les extrémistes de tous poils tirent profit des climats insurrectionnels. Ceux qui, par contre, sèment la zizanie intentionnellement, le font à dessein : ils veulent la chute du régime et préfèreraient régner sur ses ruines qu’être gouvernés dans un pays bien portant.

Alors, reprenons un instant nos esprits : que vivons-nous ? Une pandémie qui frappe le monde entier et, en son sein, tout le continent européen. Personne n’y échappe. Laissons de côté les réseaux sociaux et leurs théories du complot, les idées saugrenues, les « y’a qu’à, faut qu’on » qui ne servent à rien, et retrouvons la lucidité collective que demande le traitement sérieux du problème majeur qui nous fait face ! Tout comme le nôtre, les systèmes hospitaliers de tous nos voisins sont sous tension et l’épidémie avance partout de façon inquiétante, bien au-delà de toutes les prévisions.

Nous sommes face à un mal que nous ne connaissons pas. Il y a eu des erreurs, comme toujours en pareil cas, qui n’en fait pas ? Les mesures qui sont prises actuellement sont très imparfaites, et très inconfortables pour tous, ne le cachons pas : soit on laisse mourir nos aînés et les plus fragiles, soit on met en péril l’équilibre économique du pays. Soit on laisse libre cours aux effets naturels de la crise, soit on déverse sur l’économie et dans le soutien social des sommes colossales que nous ne possédons pas en recourant massivement à l’emprunt : les générations futures paieront pendant des décennies les choix sociétés que nous faisons aujourd’hui ; or c’est bien le choix qui a été fait. Les décisions sont difficiles, pénibles et ne peuvent créer que des frustrations, en recherchant en permanence un point fragile d’équilibre. C’est pour cela qu’elles doivent être évaluées dans leur efficacité à échéances très régulières, c’est justement pour cela : c’est exactement ce que le Président de la République en a dit en annonçant une clause de revoyure à quinze jours. C’est exactement la raison pour laquelle il a demandé à ce que l’exécutif ait la possibilité de gérer les choses au maximum par voie d’ordonnances pendant cette période si particulière. C’est « au juger », en fonction de données statistiques très fragiles et évolutives, que certaines activités ont été maintenues ouvertes et pas d’autres. Que fallait-il faire d’autre ?

Alors, au final, tout est-il vraiment si nul que ça ? Tout est-il vraiment à jeter ? Oui, si l’on en croit la presse en continu, presse du sensationnel, du scandale permanent et de l’anxiété collective, qui pour continuer à vivre grassement de nos malheurs s’emploie au quotidien à doser savamment ses temps d’antenne dans la bonne direction, celle qui ravive en permanence la flamme de la suspicion, de la contestation, de la critique gratuite et sans fondement. Oui, encore, si l’on en croit le déferlement de haine qui circule sur les réseaux sociaux à travers des fake news que les décideurs politiques sont sans cesse convoqués à venir combattre, en perdant ce faisant du temps et de l’énergie inutilement. Oui, toujours, si l’on en croit certaines des oppositions jusqu’au-boutistes, qui préfèreraient voir leur pays s’effondrer que de concéder à son jeune président une victoire sur le fléau qu’il combat.

Mais au fond de son cœur, au fond de son âme, en son for intérieur, chacun sait bien qu’il n’en est rien. Chacun sait que c’est faux et qu’il vaut mieux, en ce bas monde, avoir eu la chance de naître en France que dans n’importe quel autre pays.

Il nous faut débattre, bien sûr. C’est, bien sûr, déjà le cas dans toutes les instances démocratiques qui, faut-il le rappeler, fonctionnent comme il se doit. Nous avons tous un devoir de vigilance bien sûr, dans les chaumières et dans ce qu’il nous reste, pour le moment, de lieux de discussion. Mais il ne nous faut pas en oublier de nous battre, ensemble et solidaires, contre cet ennemi commun, qui frappe à notre porte et dont nous ne pouvons à ce jour anticiper les possibilités destructrices. Le temps des bilans viendra. Nous sommes dans celui de l’action”.

 

Christophe Euzet

Député d’Occitanie