Primaires de la droite et du centre : l’effet bocal

Par Terra Nova

Cette étude de Terra Nova explique en quoi l’organisation du scrutin de la primaire de la droite et du centre a enfermé l’élection dans un “bocal sociologique”. Les organisateurs ont en effet soigneusement sélectionné les publics susceptibles d’y participer, sans être forcément conscients des conséquences pratiques de leurs décisions.Lire l’étude dans sa version intégrale 

Synthèse

La forte participation à la primaire de la droite et du centre n’a été obtenue qu’au prix d’une organisation du scrutin qui, par ses choix d’implantation et son quadrillage du territoire, a tendu à enfermer l’élection dans un « bocal sociologique » propre à favoriser une autre forme de radicalité dans le choix du candidat. Les organisateurs de la primaire ont en effet soigneusement sélectionné les publics susceptibles d’y participer, sans être d’ailleurs nécessairement conscients des conséquences pratiques de leurs décisions.

Pour appuyer son analyse, cette étude mobilise le taux de couverture en bureaux de vote pour 10 000 inscrits par département : plus ce taux est élevé, plus on est fondé à considérer qu’il a été facile de voter. La moyenne nationale est ici de 2,26 bureaux de vote pour 10 000 inscrits par département. Les 15 départements qui sont les plus inférieurs à ce taux peuvent être considérés comme ayant été faiblement couverts. Les 15 départements les plus supérieurs à ce taux ont été eux, au contraire, fortement couverts.

Il en ressort que les départements du nord du pays (Pas de Calais, Nord), de la Bretagne (Finistère, Côtes d’Armor), du sud-ouest (Haute-Garonne), ainsi que la Seine-Saint-Denis ou le Puy-de-Dôme, ont été clairement sous-investis. On retrouve dans cette catégorie nombre de circonscriptions qui penchent traditionnellement à gauche ou marquées par une forte présence des catégories populaires.

En revanche, les territoires surinvestis se trouvent dans l’ouest de l’Ile-de-France (Hauts-de-Seine, Yvelines), à Paris, en Alsace (Haut-Rhin, Bas-Rhin), dans le Lyonnais (Rhône), dans le sud-est (Alpes maritimes) et dans le centre-ouest (Maine-et-Loire, Loiret, Mayenne…).

Mais quels ont été les résultats en termes de participation sur ces différents territoires ? Une cartographie plus fine fait apparaître des paris gagnés ou perdus selon le rapport qui se dessine entre l’investissement dans les territoires (mesuré par le taux de couverture en bureaux de vote) et la participation. Il en ressort quatre groupes : un groupe « négligé » (taux de couverture inférieur à la moyenne, mais forte participation), un groupe « perdant » (faible taux de couverture et taux de participation inférieur à la moyenne), un groupe « gagnant » (fort taux de couverture, forte participation), et, enfin, un groupe « décevant » (un fort taux de couverture mais une faible participation).

En outre, la sociologie des trente communes où la participation a été la plus forte au premier tour de la primaire sont exemplaires du cÅ“ur de cible de la droite mobilisée lors de ce scrutin. Les communes riches comme celles des Yvelines (Rennemoulin, Rocquencourt, Chevenay…), des Hauts de Seine (Marnes la Coquette, Vaucresson, Ville d’Avray…) ou les arrondissements les plus fortunés de Paris (7e, 8e, 16e, 6e) sont particulièrement représentées dans ce top 30. Y sont également largement représentées les communes du Bas-Rhin, où la droite a enregistré d’excellents résultats. Au total, dans ce top 30, ne figurent qu’une commune qui a un revenu médian annuel inférieur à 20 000 euros, et vingt qui ont un revenu médian annuel supérieur à 30 000 euros (le niveau de vie annuel médian se situe en 2014 autour de 20 400 euros au niveau national). Enfin, ce sont pour l’essentiel des communes situées en milieu urbain : cinq seulement sont en milieu rural.

Deux conclusions s’imposent. La première est, bien sûr, que la conception de la primaire a été remarquablement efficace en termes de mobilisation. Les choix d’implantation se sont avérés pertinents de ce point de vue. La seconde est que cette efficacité dans la mobilisation a un revers : la primaire s’est enfermée dans un « bocal sociologique ». Le nombre record de participants a sans doute masqué en partie cette réalité, suggérant que l’on pouvait apercevoir, à travers ce bocal, une tendance plus générale de l’électorat français. La réalité est que ce très large échantillon n’a rien de représentatif de la diversité de l’électorat. La primaire de la droite et du centre a remarquablement « saturé » sa cible, mais cette cible est restée sociologiquement très fortement polarisée et sans doute peu représentative de l’électorat dans son ensemble, voire trompeuse.

Sans doute faudra-t-il que les partis réfléchissent à l’avenir aux moyens de corriger ces biais de construction, notamment pour organiser des élections primaires plus largement ouvertes aux classes populaires.

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