Cette série de contributions s’efforce de mettre en partage les réflexions, observations, témoignages et questionnements que suscitent, chez chacun d’entre nous, les développements de l’épidémie et les multiples conséquences qu’elle aura aussi bien à court qu’à long terme.

 

CORONAVIRUS : QUELS CHOIX DE POLITIQUE PUBLIQUE ?

30 mars 2020 | Par Blanche Vu, experte en santé publique et Martin Andler, mathématicien et coordonnateur du pôle Enseignement supérieur et recherche de Terra Nova

Il n’est ni intéressant ni utile, à ce stade, d’essayer d’attribuer à tel ou tel dirigeant politique la responsabilité de la crise ou de son ampleur. Que, dans tous les pays, à des degrés divers, la prise de mesures fortes ait été tardive, au moins rétrospectivement, tend à relativiser la pertinence de la mise en cause de l’action du gouvernement français. Le temps du bilan viendra plus tard.

Mais il n’est pas inutile, sans attendre, d’identifier les différents obstacles qui ont dû être surmontés  : déficit de connaissance, psychologie, problèmes éthiques, cadre juridique, impréparation, principalement pour envisager la gestion politique et technique de la crise dans les prochains mois.

 

I. LA FRANCE ET LE CALENDRIER INTERNATIONAL

C’est à la toute fin de décembre que la nouvelle maladie a été identifiée en tant que telle à Wuhan en Chine et l’OMS en a été informée. Dès le 9 janvier, le coronavirus responsable en y a été identifié.

 

CORONAVIRUS : REGARDS SUR UNE CRISE
Terra Nova | Coronavirus : quels choix de politique publique ?

 

A la fin janvier, confronté à l’évidence d’une épidémie, et après avoir réduit au silence les premiers lanceurs d’alerte, le gouvernement chinois a pris une succession de mesures dont on voit bien, rétrospectivement, qu’elles sont fortes et efficaces[1] : mise en quarantaine de Wuhan le 23, annulation des fêtes du Nouvel an chinois le 25, mesures d’isolement des porteurs et de leur entourage, port du masque, etc. Dès la fin janvier, des cas isolés sont apparus en France, en Allemagne, tous clairement exportés depuis la Chine. C’est seulement le 21 février qu’un foyer épidémique est devenu visible en Italie, et à partir de là, l’épidémie s’est développée très rapidement puisque la barre des 1 000 cas a été franchie huit jours plus tard, le 29 février[2]. Dans les premiers jours de mars, le nombre total de morts augmentait de 40% tous les jours. En France, le 15 février, tous les douze cas répertoriés avaient une origine asiatique directe. Le 27 février, le jour où est apparu un foyer dans l’Oise, non directement lié à la Chine, il n’y avait que 38 cas en tout, mais les chiffres montraient que la France s’engageait, avec quelques semaines ou quelques jours de retard, dans la même voie que la Chine et l’Italie.

Les épidémiologistes ont pris conscience de la possibilité d’une pandémie (présente sur tous les continents) dans le courant du mois de janvier, et on est passé d’hypothèse à forte probabilité début février, comme en témoigne notamment la publication le 5 février dans le magazine américain Scienced’un article « Cette bête bouge très vite. Le nouveau coronavirus sera-t-il contenu – ou évoluera-t-il en pandémie ? »[3]

Mais ils n’ont été ni en mesure d’alerter l’opinion, ni capables de déclencher une réaction politique au plus haut niveau avant les premiers jours de mars. Car c’est seulement là que la conscience d’une crise grave est apparue clairement chez les médecins, dans l’opinion publique[4] et au niveau gouvernemental. Entre les signaux très clairs de début mars, et les décisions fortes, il a fallu attendre le 12 mars pour que des mesures contraignantes universelles soient prises.

[1] Voir l’interview dans Science du 28/3/20 de George Gao, directeur du Centre chinois pour le contrôle et la prévention des maladies : https://www.sciencemag.org/news/2020/03/not-wearing-masks-protect-againstcoronavirus-big-mistake-top-chinese-scientist-says [2] Il y a maintenant des indications selon lesquelles le virus aurait déjà diffusé en Italie bien plus tôt.
[3] Kai Kupferschmidt, Jon Cohen, « ‘This beast is moving very fast.’ Will the new coronavirus be contained— or go pandemic ? », Science, 5 février 2020.
[4] Des bloggers, scientifiques ou journalistes, ont publié des articles très clairs vers le 8-10 mars : celui de l’informaticien britannique spécialiste des réseaux Marc Handley, ou, avec un très fort impact international, celui du journaliste Tomas Pueyo, lu plus de 40 millions de fois en dix jours.
La lenteur des décisions a plusieurs ordres d’explication[5], outre l’habituel et funeste sentiment de supériorité des Français, pensant être à l’abri de la « dérive » chinoise en raison de notre tradition démocratique, et à l’abri de la catastrophe italienne en raison de la supériorité de notre système politico-administratif et fiers d’un courage bravache, avec des affirmations telles que : « montrons que nous sommes plus forts que le virus »,  « continuons à claquer la bise, nous n’allons pas nous laisser intimider par un virus ».

1. Déficit général de compréhension scientifique, portant sur deux points principaux : a. La rapidité de la croissance épidémique (exponentielle) a surpris, alors qu’elle était parfaitement comprise et prévue, en regardant l’exemple italien : avec une progression du nombre de cas nouveaux par un facteur compris entre 1,3 et 1,6 tous les jours, le nombre de nouveaux cas allait être multiplié par un facteur allant de 6 à 26 en une semaine, et donc de 1 300 à 450 000 en 4 semaines si l’épidémie n’était pas endiguée[6].    b. La nature probabiliste de la transmission du virus d’un individu à l’autre, et des conséquences systémiques fortes de probabilités individuelles faibles : « j’ai très peu de chances d’être moi-même contaminé, et j’ai très peu de chances de croiser une personne contaminée, donc je me sens à l’abri. » Mais si chacun des 67 millions de Français est dans cette situation, et qu’il ou elle est en contact avec 50 personnes tous les jours, ça fait 23,5 milliards d’occasions de transmission de l’épidémie chaque semaine. D’où, par addition de ces probabilités faibles, la progression exponentielle dont nous voyons les effets aujourd’hui. De ce déficit a découlé une sous-estimation, du point de vue épidémique, de l’impact qu’aurait la mise en place de certaines mesures comme l’isolement immédiat, dans les premiers clusters identifiés et concernant les cas diagnostiqués à l’hôpital.

[5] Voir aussi « Savoir et prévention » de Pascal Marichalar, La Vie des idées, 25 mars 2020
[6] A propos de croissance exponentielle, on se rappelle la légende de l’invention des échecs par le Grand vizir Sissa Ben Dahir. Le roi Shirham voulant récompenser le Vizir, celui demanda une récompense en grains de blé : 1 grain sur la première case, 2 sur la seconde, 4 sur la troisième et ainsi de suite, en doublant à chaque fois. Se sentant humilié par Sissa pour le caractère misérable de sa demande, le Roi fit jeter le Vizir en prison. Mais, respectueux de sa promesse, le Roi demanda à son intendant qu’on lui apporte la récompense demandée. Celui-ci fit les calculs, et dut avouer au Roi que le nombre de grains demandés, 18.446.744.073.709.551.615, représentait la moisson totale du monde pendant plusieurs dizaines d’années.
2. Sous-estimation par une partie du corps médical à la fois de la gravité de la maladie (qui n’était pas une « grippette ») et de sa contagiosité. Cette sousestimation était basée sur les informations disponibles, notamment sur le fait que les premiers foyers d’infection en France n’avaient apparemment pas diffusé.

3. Équilibre décision de santé publique et droits humains. Le paradigme qui dominait antérieurement l’analyse éthique et politique des décisions faisait classiquement prévaloir la difficulté des arbitrages entre santé publique et droits individuels. La saisine adressée par le ministre de la santé et des solidarités au Comité consultatif national d’éthique le 24 février 2020 en atteste : la recherche d’un juste équilibre entre biens concurrents dans le choix des mesures de santé publique était l’horizon qui s’imposait a priori pour analyser les décisions publiques en situation d’épidémie. Le discours public n’a pas préparé les Français à la notion d’un conflit entre libertés individuelles et santé publique, permettant de justifier ses décisions, de prendre ou de ne pas prendre, des mesures de lutte contre l’épidémie[7].

4. Dommages économiques. Dans un contexte où le gouvernement essayait de limiter le ralentissement économique, toute distraction était difficilement recevable : il fallait garder son sang-froid, éviter de créer une peur qui bloquerait le pays, maintenir l’activité économique, comme l’affirmait l’entourage du Premier ministre le 12 mars (« Il faut être capable de traiter la crise sans créer une peur qui bloquerait le pays. La vie continue, il faut montrer que la France est plus forte que le virus », Le Monde, 12 mars 2020).

5. Manque de préparation. La mise en place de mesures efficaces de lutte contre le virus s’est heurtée au manque de masques[8], de gel hydroalcoolique, de tests et de lits d’hôpital pour la réanimation[9], dotés de respirateurs. Suivant les cas, il était plus ou moins compliqué de prendre des mesures d’urgence pour compenser ces lacunes. Non seulement l’État a tardé à prendre la mesure du problème, mais il a adopté une communication particulièrement peu crédible sur la nécessité d’en disposer.
[7] L’avis du CCNE est largement resté confidentiel lors de sa publication le 13 mars 2020. https://www.ccneethique.fr/sites/default/files/reponse_ccne_-_covid-19_def.pdf.
[8] Il est clair maintenant que c’est à la suite des critiques contre l’achat préventif massif de vaccins contre la grippe H1N1 que l’État avait, entre 2011 et 2013, décidé de liquider ses stocks stratégiques de masques. Voir par exemple Aurélien Rouquet, « Pénurie de masques : la faute logistique de l’Etat français », Le Monde, 25 mars 2020. [9] Une question à laquelle il faudra se confronter est celle de savoir si la réduction massive de lits d’hôpitaux est responsable du sous-équipement en lits de soin intensif, dont nous faisons l’amère expérience en ce moment. La réduction du nombre de lit à l’hôpital est dû avant tout au passage de nombreuses interventions en chirurgie ambulatoire, qui ne nécessite plus un séjour long à l’hôpital. Néanmoins, l’écart très important de lits disponibles en soins intensifs avec assistance respiratoire entre la France (7 000) et l’Allemagne (25 000), par exemple, ne peut manquer de susciter des questions sur les effets du New Public Management à l’hôpital.
Laisser se développer l’épidémie sans mettre en place de mesures particulières de type confinement, quarantaine, tests systématiques, etc., afin d’arriver au plus vite au stade d’immunité grégaire, dite aussi immunité de groupe ou collective (herd immunity) dans lequel une grande majorité des individus (plus de 70%) ayant déjà été infectés, et étant donc devenus immunisés, l’épidémie s’éteint d’elle-même. Bien sûr, cette stratégie implique un nombre élevé de victimes, et ce d’autant plus que la montée du nombre de personnes atteintes étant très rapide, les hôpitaux sont dépassés, et ne peuvent pas sauver toutes les personnes sauvables.
Mettre en place des mesures visant à diminuer le nombre de personnes infectées, et surtout la vitesse à laquelle ce nombre augmente. Suivant l’ampleur des mesures et l’efficacité de leur mise en application (sur lesquelles on reviendra plus bas), on peut aboutir soit à un ralentissement du développement de l’épidémie (mitigation), soit carrément à une extinction de l’épidémie (suppression).

 

II. LES MESURES TECHNIQUES DE LUTTE CONTRE L’ÉPIDÉMIE DANS LA PHASE CRITIQUE

Quand, à partir de fin février, le gouvernement a réalisé qu’il fallait mettre en place une politique forte de lutte contre l’épidémie (donc passer au « stade 3 »), les deux options disponibles étaient bien connues des épidémiologistes (il n’y avait aucune surprise à cet égard, une fois connues les caractéristiques principales de covid-19 : forte contagiosité, impact modéré voire nul dans une majorité des cas, absence de traitement, absence de vaccin) :

Chacun de ces trois modes de sortie de la première phase épidémique a des avantages et des inconvénients :

Stratégie du laisser-faire.  On parvient rapidement (6 semaines) à la fin de l’épidémie, parce qu’on a atteint l’état d’immunité grégaire. La relance économique intervient rapidement. Le prix à payer est lourd  : plusieurs centaines de milliers de morts.  C’est la stratégie qu’avait semblé adopter le gouvernement du Royaume-Uni, jusqu’à la publication le 16 mars d’un rapport d’une équipe de chercheurs d’Imperial College à Londres, autour de N. Ferguson, annonçant 250 000 morts[10].

[10] N. Ferguson et al., “Impact of non-pharmaceutical interventions (NPIs) to reduce COVID-19 mortality and healthcare demand”, Note, Imperial College, 16 mars 2020.
Mitigation. L’effet des différentes mesures aboutit à un étalement sur plusieurs mois de l’épidémie. Le pic épidémique est retardé, et donc la saturation des hôpitaux est évitée. Le nombre total de personnes infectées n’est pas très sensiblement plus bas que dans la première hypothèse, mais le nombre de  morts est nettement plus bas. On a donc atteint un état proche de l’immunité grégaire, mais il peut rester un réservoir suffisant de personnes non immunisées, surtout si on met fin aux mesures de confinement tôt, et il y a donc un risque de résurgence de l’épidémie.

 

Suppression. Les mesures de confinement sont suffisamment efficaces pour aboutir à une extinction de l’épidémie au bout de trois mois. C’est ce qui se passe apparemment en Chine, et probablement aussi en Corée du Sud et au Japon. Cependant, le risque de résurgence de l’épidémie est fort, car il y a un énorme réservoir de personnes non immunisées, et donc l’épidémie peut redémarrer, soit en raison d’une poche endogène, soit en raison d’une importation depuis d’autres pays.

Quelles sont les mesures permettant de limiter ou de supprimer l’épidémie ? Elles sont maintenant assez bien connues, mais il est bon de rappeler à quels principes elles obéissent.
Il s’agit essentiellement de limiter au maximum les contacts entre porteurs du virus et individus sains. La première mesure est de limiter tous les contacts, donc : 1° lors des contacts, bannir toute relation physique (serrement de mains, bises, proximité…) ; 2° diminuer le nombre  total  de contacts (d’où la règle qui paraît un peu arbitraire, mais qui résulte de modélisations expertes, de faire passer le nombre quotidien total de contacts d’un individu moyen de 50 à 5) ; 3° mettre en place des barrières physiques (masques) et des règles d’hygiène strictes (lavage de mains, gel hydroalcoolique). La deuxième mesure, plus ciblée, est d’empêcher les contacts entre individus contagieux et les autres, ce qui impose de savoir qui est contaminé et encore contagieux, par une mise en quarantaine à la maison ou à l’hôpital. La troisième, non-accessible actuellement, est d’avoir des traitements qui permettraient de réduire la durée de la période contagieuse, voire des vaccins.

Il n’y avait donc pas le choix, sauf à risquer un nombre énorme de morts : il fallait promulguer des décisions limitant radicalement les contacts, ce qui a été annoncé entre le 12 mars (intervention d’Emmanuel Macron), le 14 mars (intervention d’Edouard Philippe) et renforcé quelques jours plus tard…  On ne peut qu’être frappé par le fait que ces décisions aient suivi, parfois de quelques heures, des déclarations allant en sens contraire : « nous ne fermerons pas les établissements scolaires », « nous ne reporterons pas les concours », « le stade 3 n’est pas envisagé  », pour ne pas parler du maintien du premier tour des élections municipales.

Une des conséquences a été la difficulté à parler vrai. Plutôt que dire : nous n’avons pas de masques FFP2 en quantité suffisante pour les personnels de santé[11], mais voici ce que nous faisons pour nous en procurer : réquisition des stocks, mobilisation de capacités de production en France, importations… Idem pour les masques anti-projections[12], le gel hydro-alcoolique, qui paraît être le problème le plus simple à régler, etc. Bien plus compliqué pour les tests, mais on se demande quand même pourquoi la France est tellement en deçà de ses voisins à cet égard.

[11] C’est seulement le 21 mars que le ministre de la santé a indiqué le besoin 24 millions de masques par semaine pour les seuls besoins des personnels de santé.
[12] L’utilité de tels masques n’est forte que dans le cas de personnes infectées, pour les empêcher de propulser des gouttelettes de salive. Si la totalité de la population était testée, alors on pourrait se limiter à n’imposer le port de masques qu’à ces personnes, au risque d’une stigmatisation.
L’analyse rétrospective n’a pas pour objectif de déplorer telle ou telle erreur. Mais l’effort de compréhension des termes des alternatives qui ont pu se poser, des difficultés qu’il a fallu surmonter, éclaire les enjeux des décisions à venir.

III. L’ÉTAPE SUIVANTE : LA SORTIE DU CONFINEMENT

Dans quelques semaines, ou plus, des décisions seront prises pour sortir, ou au moins alléger le confinement. Il est permis d’espérer que le nombre de morts n’aura pas été trop important. Mais si, heureusement, il est relativement limité, cela voudra probablement dire que le nombre de personnes pouvant encore être infectées sera d’autant plus important.

Le conseil scientifique exprime sa préoccupation à l’égard des mesures qu’il faut préparer en vue de cette sortie.  La préparation de la stratégie de dépistage qui devra accompagner la prévention d’un éventuel rebond des contaminations est essentielle. Car du point de vue épidémiologique, la première question sera d’évaluer le risque de rebond, qui dépendra d’abord du taux de prévalence de l’infection (selon qu’une forte proportion d’individus sont immunisés ou non, le risque de rebond fort est plus ou moins important). Les tests permettront de déterminer le taux de prévalence, en les administrant à un panel suffisant de l’ensemble de la population, réparti sur tout le territoire. Ils permettront aussi de déterminer si des individus sont infectés ou non. Il faudra en outre disposer de tests sérologiques pour savoir si les individus ont développé des anticorps.

Cette question est au centre de la discussion du conseil scientifique, et donc au centre de sa communication[13]. Mais là encore, la décision ne saurait se réduire à la seule dimension technique de disponibilité des tests.

Des choix difficiles seront sur la table. Les difficultés qui semblent avoir caractérisé les processus décisionnels seront de nouveau au rendez-vous, auxquelles s’ajouteront les conséquences psychologiques du confinement[14]. Pour réorienter la stratégie, du confinement général à des actions plus ciblées grâce aux tests (tester, tracer, isoler, comme cela a été fait avec succès en Corée du Sud), il faudra adapter le message et justifier le changement de cap.

[13] Avis du 24 mars [14] Un sondage conduit auprès de plus de 52 000 personnes confinées a été conduit en Chine et met en évidence la gravité de la souffrance psychique liée à l’enfermement, déclarée par plus d’un tiers des répondants. Qiu J, Shen B, Zhao M, et al., « A nationwide survey of psychological distress among Chinese people in the COVID-19 epidemic: implications and policy recommendations”, General Psychiatry2020;33:e100213. doi:10.1136/ gpsych-2020-100213
Après des semaines où le discours martelé consiste à dire qu’on sauve des vies en restant chez soi, comment présenter cette nouvelle approche, et comment justifier qu’on ne l’ait pas adoptée d’emblée ?

Il y aura la décision de réouverture des écoles, des examens et des concours, dont on mesure bien les conséquences. Il faudra aussi décider de la reprise des manifestations culturelles, des musées et salles de spectacle, des manifestations sportives. A chaque fois, il y aura le risque de provoquer un nouveau foyer de propagation.

Mettra-t-on en place un contrôle de la température corporelle, comme c’est le cas dans plusieurs pays d’Asie ? Pour reprendre la question du dépistage : serat-il systématique ou bien ciblé, obligatoire ou volontaire ? Débouchera-t-il, en cas de test positif, sur des mesures d’isolement volontaires, comme cela a été le cas jusqu’ici, ou bien obligatoires, assorties d’un contrôle  ? Et, dans le prolongement, le traçage des contacts à partir d’un cas, puis la quarantaine de ces contacts, seront-ils volontaires ou bien auront-ils une dimension coercitive, comme c’est le cas à Singapour, où une fausse déclaration durant l’interrogatoire de traçage des contacts est passible de prison ?

Ces mesures sont des outils classiques de l’intervention de santé publique en situation d’épidémie  ; elles sont listées comme telles par exemple dans le Règlement sanitaire international de 2005. Jusqu’ici, elles n’ont pas été débattues en ces termes dans notre pays, en raison sans doute des difficultés d’ordre divers que l’on a tenté de repérer plus haut. La loi sur l’état d’urgence du 22 mars mentionne explicitement la possibilité de ces mesures individuelles dans la liste des mesures d’exception que le gouvernement peut ordonner (article 5 de la loi créant le nouvel article L3131-23 du Code de la santé publique), en les subordonnant à un critère de proportionnalité entre l’atteinte aux libertés individuelles et l’efficacité attendue.

Les cadres d’action sont donc là. Jusqu’à la conférence de presse d’Edouard Philippe et Olivier Véran le 28 mars, on ne repérait pas, dans le discours des autorités, pour justifier les mesures prises, d’effort pour préparer les délibérations qui seront nécessaires en amont de l’action. Les cadres de raisonnement qui nous parviennent des autorités sont flous.

Du déni initial à la culpabilisation d’une indiscipline désignée comme criminelle, de la volonté de rassurer à la déclaration de guerre, de la sacralisation du discours scientifique à la revendication de la dimension politique de la décision : ces allées et venues du discours public augurent mal des conditions futures de la prise de décision et de sa transparence. Les choix qui s’annoncent impliqueront un discernement dont les modèles épidémiologiques ne seront qu’une simple composante. Quels seront les polarités, les alternatives à examiner, quelles valeurs seront en jeu ? Il est urgent que les cadres de raisonnement soient partagés. La qualité de la décision et surtout sa légitimité en seront accrus. Les difficultés rencontrées en février, liées à la sidération et à l’urgence, ne seront plus excusables en avril.