Contrôler le marché légalisé du cannabis en France
– l’exemple fondateur de l’ARJEL –

Par Christian Ben Lakhdar et Jean-Michel Costes
Dès 2014, Terra Nova se prononçait pour la légalisation du cannabis en France et démontrait l’échec des politiques de répression menées depuis plus de 40 ans. Le but de cette nouvelle étude est d’aller un cran plus loin en proposant un cadre de gouvernance et d’organisation propre à un marché légalisé et régulé du cannabis en France, toujours dans le souci de prévenir les addictions et de lutter contre le marché illicite. Terra Nova propose donc d’encadrer la légalisation du cannabis via une Autorité de Régulation du CAnnabis en France (ARCA), entité législative directement inspirée de ce qui existe dans le secteur des jeux en ligne.

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Dans un rapport daté de décembre 2014, Terra Nova se prononçait pour la légalisation du cannabis en France. Il démontrait, d’une part, l’échec des politiques menées à l’encontre de cette substance depuis plus de 40 ans ; d’autre part, il tentait d’évaluer les impacts économiques positifs qui pourraient être associés à un scénario de légalisation du cannabis dans le cadre d’un monopole public permettant de contrôler étroitement le prix et du même coup l’évolution de la consommation.Mais, malgré les discussions ouvertes par ce travail, la situation n’a pas évolué. Le but de cette nouvelle étude est de proposer un cadre de gouvernance et d’organisation propre à un marché légalisé et régulé du cannabis en France, sur la base de l’exemple fondateur que représente l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL).En effet, le marché des jeux d’argent et de hasard en ligne a été légalisé en France par la loi 2010-476 du 12 mai 2010. Elle légalise l’offre d’un bien potentiellement addictif et dépénalise de fait une industrie autrefois considérée comme illégale. Le pari du législateur était d’assécher l’offre illégale, en faisant venir une large majorité des joueurs sur les sites légaux, et de réduire les pratiques problématiques sur cette offre légale. L’ARJEL créée à cette occasion contraint les opérateurs à la mise en place de moyens de prévention et de réduction des risques du jeu pathologique. La lutte contre l’offre illicite de jeux d’argent et de hasard en ligne lui incombe également.

L’histoire et la concrétisation de ce processus de légalisation d’une conduite potentiellement addictive offre un cadre qui conviendrait à la légalisation contrôlée du cannabis. Le cadre législatif proposé par l’ARJEL permet de dessiner les objectifs de ce que pourrait être une Autorité de Régulation du CAnnabis en France (ARCA).

Des objectifs de santé publique d’abord, car avec 700 000 Français âgés de 15 à 75 ans qui consomment quotidiennement du cannabis et 1,4 million qui en font un usage régulier (au moins 10 joints par mois), la France est en tête des classements européens. Un objectif de lutte contre le marché illicite, ensuite : la lutte policière, toujours très active auprès des simples usagers n’arrive pas à enrayer l’offre et fait à présent face à une extension du marché en ligne des drogues illicites.

Les jeux en ligne sont une addiction sans produit. Le cannabis est, lui, un produit, ce qui fait que les politiques à mener à se rapprochent des mesures qui sont en vigueur dans la lutte contre le tabac. En effet, il s’agit bien de faire diminuer la consommation, et non de la rendre attractive. Appliquer au cannabis des dispositions de lutte anti-tabac de la Convention cadre de lutte anti-tabac (interdiction de la vente aux mineurs, avertissements sanitaires et packaging neutre, consommation interdite dans les lieux à usage collectif et de travail clos et couverts) répondrait à cette ambition.

Enfin, les recettes fiscales issues du cannabis pourraient faire l’objet d’un vote au sein de la loi de finance de la Séucrité sociale et d’une affectation claire au budget de l’Assurance maladie. Des lignes budgétaires pour les politiques de prévention et de réduction des risques de l’usage de drogues et de cannabis pourraient être inscrites.

La mise en production de cannabis pourrait soit se faire par des agriculteurs français autorisés par des licences du Ministère de l’agriculture, soit par des entreprises étrangères. Dans tous les cas, la production de cannabis devra répondre à un cahier des charges aussi strict que peut l’être celui de l’ARJEL concernant les opérateurs désirant mettre de nouveaux jeux à disposition des consommateurs. La production française limiterait le dosage en THC (Delta-9-tétrahydrocannabinol) des produits de cannabis, concentration qui explose aujourd’hui dans les produits vendus illégalement. La vente serait confiée à des détaillants ayant demandé un agrément à l’ARCA. Trois options potentiellement complémentaires, qui présentent des avantages comme des inconvénients, sont ici à considérer : le réseau des débitants de tabac, celui des officines pharmaceutiques ou un nouveau réseau de magasins.