“Législatives dans les Pyrénées-Orientales : partir des réalités pour identifier les défis

 

 

-Les élections législatives viennent de se terminer. Dans les Pyrénées-Orientales, elles ont livré leur verdict. De nombreuses analyses ont fleuri et proliféré ici ou là, sans pour autant éclaircir quoi que ce soit la plupart du temps.

Le factuel, antidote aux contresens
Il est d’abord nécessaire de partir du réel tel qu’il est si l’on veut se livrer à une analyse un tant soit peu sérieuse. Le département des Pyrénées-Orientales sera représenté par quatre députés d’extrême droite issus du Rassemblement National, anciennement Front National. Les macronistes, qui possédaient trois députés dans la dernière législature, n’en auront plus un seul dans la nouvelle, après avoir perdu les trois duels au second tour de ces législatives. La NUPES n’a pas réussi à décrocher de députés, parvenant à se qualifier au second tour une fois sur quatre.
En 2017, les formations constituant la NUPES n’avaient pas réussi à glisser un de leurs représentants au second tour des législatives (ce fut à chaque fois des duels La République en Marche contre Rassemblement National). La meilleure performance d’un candidat du spectre de la NUPES avait été obtenue dans la troisième circonscription par celle qui était alors ministre, la socialiste Ségolène Neuville arrivée en troisième position. Les quatre candidats de La France Insoumise naissante se classèrent tous à la quatrième place, toujours à la première place des candidats de gauche, excepté donc dans la circonscription numéro trois. Les candidats des autres forces politiques réunis cette année dans la NUPES, les deux autres socialistes, les quatre communistes et deux écologistes, firent beaucoup moins bien, parfois avec un score inférieur au seuil des 5% permettant le remboursement des frais de campagne.
Voilà ce qu’il en est concernant les trois pôles politiques qui ont émergé à l’occasion du premier tour de la présidentielle, derrière les candidatures d’Emmanuel Macron, Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Les pôles libéral/centriste, d’extrême-droite et populaire pesaient de manière globalement équivalente, ce qui pouvait rendre aléatoire l’émergence d’une majorité absolue aux législatives suivantes. C’est donc du factuel que toute analyse post-électorale doit procéder. Au mépris de cette règle élémentaire, nous avons pu voir surgir des analyses pour le moins approximatives, qu’il est aisé de qualifier sans parti-pris d’analyses à l’emporte-pièce. Elles furent d’une grande diversité, qu’elles aient émané d’experts reconnus comme tels, ou d’experts simplement autoproclamés, ou encore d’acteurs politiques de mauvaise foi guidés par une volonté auto-réalisatrice face à des événements qui leur échappaient. La liste serait fournie, et cruelle, si l’on voulait en faire un inventaire nominatif…

La négligence des fondamentaux
En conséquence, des lacunes significatives, parfois considérables et rédhibitoires, ont entaché la crédibilité de ces analyses. Nous en retiendrons quelques-unes dans notre réflexion, qui ont trait à des fondamentaux.
La première réside dans la non prise en compte du caractère national des élections législatives. En cela, la dérive localiste a joué à plein. Certains ont voulu croire que notre département pouvait constituer un isolat favorisant la perpétuation de quelques (petites) rentes, comme s’il se trouvait en dehors des réalités nationales. Là aussi, cela tenait en grande partie de la prophétie auto-réalisatrice. Les faibles scores obtenus par les quatre candidats du parti de droite Les Républicains et par le dissident socialiste dans la quatrième circonscription (soutenu par Carole Delga et la fédération du PS 66, mais pas par la direction nationale du PS) le montre parfaitement. Un témoignage supplémentaire, si besoin était, de l’affaissement continu du vieux monde.
Le socle de chacune des forces politiques a rarement constitué un critère fondamental des analyses. Et sans doute non plus des stratégies élaborées et poursuivies par nombre des acteurs politiques de ces législatives. A tort, et ce grandement. Le socle des différentes forces politiques est déterminé par le score du premier tour de la présidentielle. Car c’est celui-ci qui se rapproche le plus de la réalité du vote d’adhésion. D’où l’erreur (répétée) des macronistes qui ont voulu croire, ou plutôt davantage faire croire, que le score du second tour pouvait participer de leur socle électoral… Le réveil a pu donc leur paraitre brutal, une fois la majorité absolue abandonnée au niveau national et la perte de leurs trois députés dans le département. En fin de compte, il n’y a pas eu de réel déplacement des masses électorales dans les Pyrénées-Orientales au cours des législatives. Marine Le Pen était arrivée en tête dans les quatre circonscriptions, le Rassemblement National arrive en tête au premier tour des législatives dans les quatre circonscriptions et obtient autant de députés au second tour. Là où Jean-Luc Mélenchon termine en troisième position à la présidentielle, les candidats de la NUPES occupent le même rang. Dans la troisième circonscription où il était arrivé en seconde position en devançant Emmanuel Macron, la candidate de la NUPES Nathalie Cullell dépasse également le candidat voulu par Jean Castex, pour se qualifier au second tour sans pouvoir cependant ensuite battre sa concurrente d’extrême droite.
L’oubli du poids des dynamiques et la méconnaissance de la notion de résonance ont également constitué des angles morts de la réflexion. La dynamique n’était pas en faveur de La République en Marche. Cela s’est traduit clairement par un vote de rejet contre un bilan qui était à la fois un passif et un boulet. Et ce en dépit de l’illusion de posséder un socle supérieur à ce qu’il était en réalité. La dynamique était indiscutablement du côté de la NUPES impulsée par La France Insoumise. Le programme porté par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle faisait résonance, au même titre que le travail de fond réalisé au Parlement par les députés ou localement par la popularisation inlassable depuis plusieurs années des mesures programmatiques les plus emblématiques. La dynamique a en effet failli combler le déficit en terme de socle (Jean-Luc Mélenchon obtient dans les Pyrénées-Orientales un score de plus de deux points inférieur à son score national). Il n’a finalement manqué que moins d’un point aux candidats de la NUPES pour accéder au second tour dans les trois circonscriptions où ils échouent à la troisième place. La dynamique ainsi créée n’a pu totalement compenser le handicap initial du socle. Cela s’explique par un phénomène particulier, atypique et rare : la dynamique, pourtant réelle et porteuse d’un engouement militant, ne s’est pas accompagnée d’une addition. Habituellement, une dynamique va au-delà de l’addition. Ce ne fut ni le cas au niveau national, ni à l’échelle départementale. L’arithmétique n’était pas même au rendez-vous, ce qui a limité la transcription électorale de la dynamique. Nous reviendrons plus loin sur les raisons de cet étrange phénomène, mais pourtant indiscutable.

Ne pas se fourvoyer dans des interprétations alambiquées
Au lieu de se perdre dans des interprétations alambiquées, il convient de se recentrer sur les réalités politiques basiques. Ces torsions de cerveau stériles ont pullulé, sans doute pour faire assaut de compétence et de pertinence. Elles contribuent à se fourvoyer dans un entre soi regrettable.
Il en va ainsi de la surinterprétation de certains facteurs socio-économiques comme déterminants du vote. Les réflexions sur les tensions relatives au logement, les problématiques liées aux déplacements et aux transports, la raréfaction du foncier, les contresens d’une politique d’aménagement sont certes véritablement passionnantes et instructives. Mais elles peuvent conduire à un manque de chair humaine aux conclusions données. Ne serait-il pas préférable d’établir un lien organique avec les conséquences des politiques d’austérité, de démantèlement des services publics, de rétrécissement ininterrompu des institutions de solidarité ? Il s’agit des causes principales de l’aggravation à des niveaux insoutenables dans les Pyrénées-Orientales de la pauvreté et de la précarité, dégradant les conditions de vie quotidienne. Ces interprétations alambiquées se veulent sans doute une garantie de réflexion intellectuelle approfondie. Elles ne parviennent pas à atteindre concrètement l’objectif visé : elles ne concourent pas à se rapprocher d’une vision systémique pourtant nécessaire quand bien même un amoncellement de certitudes théoriques et technocratiques est donné à voir. Un signalement de corrélation ne peut dispenser d’établir de manière rationnelle les éventuels liens de pure causalité. Sans quoi on reste parfois au niveau de la simple coïncidence !
Dans le même ordre d’idée, on peut citer la perception pour le moins paradoxale de l’abstention. Elle est tantôt négligée car considérée comme une fatalité avec laquelle il convient de composer et de s’accommoder, tantôt au contraire sur-interprétée avec des accents de donneurs de leçons mode « y a qu’à ». Les simplifications ne visent qu’à éluder la complexité du phénomène dont les sources se trouvent dans les politiques libérales menées sans discontinuer depuis plusieurs décennies. Il est vrai que l’abstention peut constituer une stratégie à quelques uns pour faire oublier des bilans rejetés par la majorité des citoyens et à d’autres pour préserver quelques rentes localistes dérisoires devant les enjeux et les urgences du moment présent (se référer aux élections locales). Au contraire, des réalités tenaces ne peuvent être occultées. La force politique qui réduit le plus l’abstention est La France Insoumise : aux élections nationales elle suscite un espoir avec ses propositions programmatiques qui remobilisent les catégories structurellement les plus éloignées du vote : les quartiers populaires et la jeunesse. Quand l’abstention est forte, c’est La France Insoumise qui en est la principale victime, comme on peut le voir à l’occasion des élections locales intermédiaires.
Un phénomène doit être pris en compte davantage qu’il ne l’est dans les analyses post-électorales. Et sans doute dans l’élaboration des stratégies pré-électorales si l’on veut qu’elles soient dynamiques et propulsives… Il s’agit du phénomène de désaffiliation qui commence néanmoins à émerger dans les réflexions. Les votes exprimés par les citoyens s’autonomisent de plus en plus des appartenances (ou des affiliations) partisanes ou idéologiques qui structuraient en grande partie la vie politique et les comportements des électeurs. Il n’y a souvent plus de cohérence entre les choix réalisées d’une élection à l’autre, entre les élections locales et les scrutins nationaux. Nous sommes étonnés que l’on puisse être surpris des résultats qui se sont exprimés dans des communes comme Céret, Prades ou Elne. Elles illustrent à merveille la tendance à la désaffiliation électorale. Remarquons au passage que ce phénomène de désaffiliations multiformes rend vaines et dérisoires toutes les consignes de vote. D’autant plus que la désaffiliation existe aussi entre les deux tours d’une même élection, et bien plus qu’on ne le croit même les glissements peuvent se faire parfois à somme nulle. Le problème est en fait structurel : des logiciels politiques périmés continuent à activer trop de réflexions et d’analyses. Ils conduisent à des confusions et à des impasses, autrement dit à des obscurcissements de la réalité que la propension à asséner des évidences sans consistance, comme autant de travers méthodologiques fâcheux, ne permettront pas d’éclairer. La question des logiciels politiques est plus que jamais centrale.

Pour la NUPES, aller à la racine
Pour la NUPES, l’examen de la réalité politique constitue un préalable incontournable. L’émergence de La France Insoumise dès 2016 et son inscription durable dans le champ politique par la suite s’étaient appuyées sur une analyse approfondie de la situation politique. Un « monde nouveau » avait pris forme, balayant « l’ancien monde » même si celui-ci peut tenter de survivre avec l’énergie que la perspective de la préservation de rentes peut insuffler.
Dans les Pyrénées-Orientales, la NUPES est incomplète. La fédération du Parti Socialiste a refusé de s’inscrire dans l’accord national signé entre cinq formations : PCF, Génération.s, EELV, LFI et PS. Cela s’est traduit par le soutien à un candidat dissident (qui n’était autre que le responsable départemental du PS dans les Pyrénées-Orientales) dans la quatrième circonscription et par un sabotage larvé des candidatures NUPES dans les autres circonscriptions. Sans vouloir surestimer le poids électoral de la fédération départementale du Parti Socialiste à l’occasion de ces élections législatives (de nombreux militants socialistes pour le coup désaffiliés se sont davantage reconnus dans le programme porté par Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle et dans les candidats NUPES aux législatives), on peut affirmer qu’il est en grande partie responsable de la défaite des candidats NUPES. Les moins de 1% qui ont manqué aux candidats NUPES dans trois circonscriptions pour se qualifier au second tour se retrouvent dans l’attitude incompréhensible du Parti Socialiste. De la même manière la défaite au second tour de la candidate NUPES dans la troisième circonscription prend ses sources dans l’entreprise de déstabilisation souterraine opérée avec hargne en amont. Et qu’on ne nous objecte pas que le PS 66 ne valait localement pas plus de 1%…
L’attitude du Parti Socialiste local pose bien un problème de fond. En se limitant aux réalités observées et observables, on peut caractériser la situation de manière fort cruelle. Le legs du PS 66 dans l’histoire politique locale récente pourrait se résumer au choix opéré en faveur de Manuel Valls à la primaire de 2017 (un des quatre seuls départements à l’avoir fait dans l’hexagone !) et par l’entêtement à ne pas s’inscrire dans la NUPES en 2022, suivant en cela l’impasse prônée par Carole Delga. Notons que celle-ci a pour l’occasion profondément et durablement abîmé son image qu’elle avait construite sur des faux-semblants. En tout état de cause, pour le PS 66, un legs très peu glorieux.
Autre élément d’incomplétude de la NUPES dans les Pyrénées-Orientales, l’existence de prises de positions d’éléments dissidents isolés ne représentant pas les formations politiques auxquelles ils appartenaient. Et ce même si dans le passé ils avaient pu en exercer et quand bien même ils restent élus encore en fonction dans des collectivités locales… Cela a participé des brouillages et des confusions qui ont entaché la campagne et le climat local. Les réflexes localistes ont également perduré ; ils visaient à relativiser la nature nationale de ses législatives et à rabougrir la dynamique en résultant. Les propositions lunaires et hors-sol d’une entente départementale (avec comme clé de répartition des circonscriptions le principe que ceux qui ont fait 2% à la présidentielle auraient autant que ceux qui ont obtenu 22% !) avant même la conclusion d’un accord qui ne pouvait être que national ont en fin de compte déconsidéré ceux qui les émettaient. Rappelons que si des formations politiques n’ont pas eu de candidats dans le département, c’est parce que leurs instances nationales n’en ont pas demandés au cours de la phase de déclinaison départementale de l’accord national. Les Pyrénées-Orientales n’étaient donc pas leur priorité. Ce qui se comprend, au vu notamment de l’étroitesse du socle initial dont nous avons abondamment parlé plus haut. Car les études électorales des instances nationales des différentes formations politiques sont bien plus rigoureuses et fiables que les éventuels bavardages localistes de petits aspirants féodaux déconnectés du réel et s’ingéniant à construire un monde imaginaire. Question de logiciel sans doute, mais hélas pas que… Dans ces conditions, il devient plus facile d’expliquer le phénomène fondamental de dynamique sans addition que nous avons relevé précédemment et qui nous paraît d’une grande importance.
Pour la NUPES, la stratégie de La France Insoumise, dont le succès a permis la signature de l’accord national, reste plus que jamais d’actualité. Il s’agit en effet d’élargir son socle, de maintenir la dynamique enclenchée, de continuer à alimenter sa résonance, le tout à la fois par un travail de fond et par l’action militante de terrain. L’enracinement sera à ce prix, et non pas par l’obtention de rentes illusoires et de prébendes dérisoires. D’autres défis, abordés rapidement faute de place dans ce texte déjà trop long, pourront alors être relevés. Et ils feront prochainement de plus amples développements”.

Francis Daspe
Animateur de La France Insoumise, candidat de la NUPES aux législatives des 12 & 19 juin 2022.