Christian Bourquin (PS), sénateur des Pyrénées-Orientales, président de la Région Languedoc-Roussillon, a accepté de répondre à nos questions au sujet de la campagne en cours pour le second tour des élections législatives…

ouillade.eu : Vous affirmez aujourd’hui qu’il y a eu un “deal” entre Louis Aliot (FN) et Jean Castex (UMP), pour le second tour des élections législatives dans le département des Pyrénées-Orientales. Pouvez-vous nous en dire plus ?

– Christian BOURQUIN : “Oui. On pourrait dire que j’ai eu du nez… Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est une petite phrase prononcée dimanche soir, à l’issue du premier tour, sur le podium de France 3… La chaîne régionale avait installé son plateau devant la Préfecture et le Conseil général, sur les quais de la Basse à Perpignan. Jean Castex, le candidat de l’UMP sur la 3ème circonscription, répondait aux questions du journaliste qui l’interpellait sur son retard de 7 points derrière la candidate socialiste, Ségolène Neuville… Moi, je partais, je m’apprêtais à quitter les lieux puisque la soirée électorale s’achevait, lorsque, en passant, j’ai entendu Castex répondre : “Vous verrez demain, il y aura une surprise demain… Attendez !”. Puis plus rien. Castex s’est arrêté là. Mais j’ai noté cette réaction…”.

ouillade.eu : Et le lendemain, alors ?

– Christian BOURQUIN : “Le lendemain, Marine Le Pen a agité devant les caméras une liste qu’elle a qualifié elle-même de “liste noire de personnalités à battre”. Dans cette liste, il n’y avait que des personnalités connues nationalement, de gauche et de droite, des anciens ministres… et Ségolène Neuville ! Pourquoi elle ? Que venait-elle faire sur cette liste de gens célèbres ? Et puis, je me suis souvenu de cette petite phrase, lâchée imprudemment la veille par Castex devant les micros à Perpignan : “Vous verrez demain, il y aura une surprise demain… Attendez !”.
Cela a fait tilt chez moi !
Alors, bien sûr, face aux interrogations des journalistes, nous avons eu droit à des explications rocambolesques de Louis Aliot que personne n’a cru. A part lui !
Il a essayé de nous expliquer que c’est parce qu’elle était haineuse et je ne sais quoi encore qu’elle figurait sur cette liste noire… C’est plutôt léger comme faux prétexte.
Au passage, Aliot n’a pas manqué d’inviter les électeurs du Front national à voter Castex pour faire barrage à Ségolène Neuville.
C’est incroyable, non ? Car Castex ce n’est pas n’importe quel candidat de l’UMP ! Il a été le bras droit de Sarkozy à l’Elysée. Dans son parcours à l’Elysée, Castex a été habitué à fréquenter les couloirs obscurs, les cabinets noirs et des idées sombres (je pense là à l’affaire Karachi, Squarcini, Takiedddine…).
Et puis, encore, il y a eu ce fameux mardi 12 juin 2012, le lendemain donc, lorsque Aliot annonce que le FN retire sa candidate (Ndlr. Irina Kortanek) présente sur la 2ème circonscription, pour faciliter la réélection de Fernand Siré (UMP).
Voyez qu’il y a bien une chronologie dans les faits : dimanche soir Castex annonce la surprise sur la 3ème circonscription, lundi c’est Marine Le Pen qui dévoile la surprise sur la 3ème circonscription, le mardi on continue avec Siré, sur la 2ème…”.

ouillade.eu : Quelle est à votre avis la contrepartie de ce “deal”, si il est prouvé que “deal” il y a bien sûr ?

– Christian BOURQUIN : “Où est le retour ? Qu’est-ce que Castex a négocié ? A mon avis, contrairement à ce qu’on a vu dans d’autres départements, comme dans le Gard, le “retour” n’est pas immédiat dans les P-O. Je pense que l’objectif est ailleurs, dans d’autres échéances électorales, dans de prochaines élections…”.

ouillade.eu : Mais encore ?

– Christian BOURQUIN : “Les municipales de 2014 ! Castex, je pense, a dû négocier une liste UMP aux municipales à Perpignan avec la participation du FN. C’est mon analyse. Elle vaut ce qu’elle vaut, mais il y a des attitudes, des comportements, des décisions même, qui ne trompent pas. Mais cette négociation entre Castex et Aliot s’est fait au nez et à la barbe d’une autre partie de l’UMP. Car je suis convaincu que tout l’UMP’66 n’était pas au courant !”.

ouillade.eu : Vous pensez à qui, si vous pensez à quelqu’un en particulier ?

– Christian BOURQUIN : “Je pense que le “retour direct” pour le FN, au départ, c’était pour Aliot d’obtenir le retrait de Daniel Mach (UMP), le député sortant qui est face à lui sur la première circonscription, pour rester seul contre notre candidat socialiste, Jacques Cresta. Mais, très franchement, si Aliot a pu croire une seconde que Mach se retirerait, alors il ne connaît pas du tout Mach. Mach est “inmanoeuvrable” à tous les étages ! C’est le méconnaître totalement que de penser qu’on peut le manoeuvrer”.

ouillade.eu : Pensez-vous que François Calvet, sénateur des P-O, président de l’UMP’66, et ancien député de la 3ème circonscription où se présente Jean Castex, était dans le coup ?

– Christian BOURQUIN : “Je me suis posé la question. Puis ce jeudi matin, 14 juin 2012, à la lecture du journal L’Indépendant, j’ai compris que oui. Cela ne fait aucun doute. François Calvet était dans le “secret” percé par Castex ! Je pense que le maire de Perpignan, Jean-Marc Pujol, bien que reconnu pour être un grand naïf en politique, l’était aussi, au courant.
Castex a été le dynamiteur de la digue républicaine. Il a ouvert la faille !
Les négociations, pour en arriver là, ont été engagées par deux hommes qui ont le même parcours, dans des cabinets, qui ne connaissent rien du terrain en Pays catalan, qui ne sont que des gens de cabinets. Ils ont vendu la boutique, l’UMP pour l’un, le FN pour l’autre, sans se soucier des autres élus et des militants.
A ce petit jeu, Aliot a réussi une bataille, celle d’avoir déchiré l’UMP’66. Tout ça, par pures ambitions personnelles, parce que deux mecs ont voulu sauver leur peau dans le cadre d’une élection.
Je tiens à préciser cependant que je ne mets pas dans le coup tout l’UMP. J’ai cité des individus, les autres ne sont pas du tout concernés par mon propos. Ils auront d’ailleurs tout le temps de s’en apercevoir, au fil des événements, d’ici 2014…
Ce que Castex et Aliot n’avaient pas prévu, c’est que je serai là, c’est que j’aurai du nez pour flairer leur arrangement d’arrière-boutique. Ils sont les tristes auteurs d’une porosité électorale entre une partie de l’UMP et le FN. Cette porosité électorale va vers une faillite idéologique de la droite républicaine, ce qui est extrêmement grave et préjudiciable à la République.
Castex et Aliot ont d’autant plus facilement pu réaliser leur coup que le conteste leur est plutôt favorable dans la mesure où le bateau UMP, au plan national, tangue, parce qu’il n’a plus de capitaine.
Copé et Fillon n’agissent plus sur les départements, ils ne veulent surtout pas perdre des alliés, d’où ces comportements, ces arrangements locaux de l’UMP avec le FN qui se multiplient, comme on le voit dans les départements du Gard et des Pyrénées-Orientales, où des candidats négocient en sous-marins !
C’est la faillite idéologique, dans la mesure où une partie de cette droite républicaine abandonne les valeurs gaullistes pour se caler sur le Front national.
Castex portera une lourde responsabilité dans cette faillite idéologique… Castex a vendu la République et la Ville de Perpignan au FN, la main sur le coeur”.

ouillade.eu : Comment pensez-vous que François Calvet, en tant que patron de l’UMP’66, va réagir à vos accusations ?

– Christian BOURQUIN : “Je ne l’accuse pas, je livre une analyse, je fais une synthèse, par expérience… Vous savez, depuis mardi, j’ai cherché à le joindre. Je n’étais pas le seul, même les journalistes n’ont pas réussi à le joindre pendant presque quarante-huit heures…”.

ouillade.eu : Vous vouliez lui dire quoi, lui parler de quoi ?

– Christian BOURQUIN : “J’ai cherché à joindre Calvet en tant que responsable départemental d’un parti politique, l’UMP en l’occurrence.
Je voulais comprendre, je voulais qu’il m’explique ce qui se passe à l’intérieur de son parti, le 2ème ou le 1er de France, qu’au regard de la République et de par mes fonctions électives notamment à la présidence de la Région, il me parait normal d’entreprendre cette démarche. Après, qu’il fasse ce qu’il veut, ce n’est pas mon problème.
Ce n’est quand même pas à moi d’apporter la preuve de la forfaiture à l’auteur du crime… C’est quand même extraordinaire qu’il se soit caché pendant près de deux jours, en pleine tempête ! Qu’il se fasse porter malade pendant quarante-huit heures, alors qu’il devrait s’expliquer devant ses militants, devant ses sympathisants, devant ses électeurs, je ne trouve pas tout ça très courageux”.

ouillade.eu : Est-il vrai que vous avez traité Louis Aliot de “branleur” ?

– Christian BOURQUIN : “C’est exact. C’était sur France Bleu Roussillon. Je maintiens mes dires. Le mot existe. Il est dans le dictionnaire. Vous pouvez aller vérifier : “branleur” signifie personne qui ne fait rien de son temps. Tout simplement.
Aliot est un gros branleur est je le justifie : Lors des 15 dernières sessions publiques au Conseil régional que je préside, et où il a été élu, Aliot n’est apparu que deux fois. Ce n’est pas mériter le qualificatif de “branleur” dans ces conditions ?
Aliot se dit patriote, c’est un patriote du dimanche ! Je ne le vois jamais aux cérémonies commémoratives. Jamais !
Je confirme donc que M. Aliot passe une partie significative à ne rien faire de son temps.
Pour M. Aliot, les mots violents sont : Liberté, égalité, fraternité.
Le problème de M. Aliot aujourd’hui, c’est qu’il sait que je sais, à propos de son “deal” avec Castex. Il a pigé que j’ai pigé. Je les ai démasqués !
Evidemment que le boomerang va se retourner contre eux. Ils le valent bien. Par rapport à ce qu’ils ont fait en cachette, la seule arme valable, c’est l’arme électorale, c’est-à-dire de voter Ségolène Neuville dans la 3ème circonscription, et Toussainte Calabrese dans la 2ème…”
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ouillade.eu : Puisque vous parlez de la 2ème circonscription, que pensez-vous de la réaction du député sortant UMP, Fernand Siré, par rapport au désistement de la candidate FN ?

– Christian BOURQUIN : “Il a obtenu ce qu’il a voulu, non ? Le soir du premier tour, Fernand Siré a appelé à la mise en place d’un “Front de droite”… Il a été entendu par le Front national ! Le FN a retiré sa candidate et appelle à voter pour lui. Vous l’avez entendu, vous, rejeter cet appel ? Moi, pas. Je ne suis pas un spécialiste animalier, mais pour moi Siré est une anguille : peu de cervelle et pas de colonne vertébrale”.

ouillade.eu : Restons en Salanque. Cela ne vous a pas posé un problème d’avoir deux candidats issus de la Majorité départementale, Toussainte Calabrese et José Puig, présents dans ces élections législatives ?

– Christian BOURQUIN : “Pas du tout. José Puig est libre de faire ce qu’il veut. Il m’avait prévenu de son souhait d’être candidat, je l’avais prévenu que nous avions déjà une candidate en la personne de Toussainte Calabrese, et puis c’est tout.
José Puig a une fois de plus tenu sa parole. Il m’avait dit que s’il était éliminé de la compétition il ferait campagne pour Toussainte Calabrese, aux côtés de Toussainte Calabrese, c’est ce qu’il fait ! Il est présent aux réunions publiques de Toussainte Calabrese, il assiste à ses déplacements en Salanque. En grand humaniste, il apporte un soutien actif avec beaucoup de sincérité… Dans cette élection, en Salanque, sur ce territoire qu’il connait par coeur, José Puig peut-être un redoutable faiseur de roi… ou de reine, en l’occurrence !”.

ouillade.eu : Une fois de plus, face au Front national, qui a décidé de soutenir la candidature de Fernand Siré sur la 2ème circonscription des P-O, le Parti radical de Jean-Paul Alduy, à la différence de l’UMP’66, a pris ses distances avec le député-candidat en n’appelant pas à voter pour lui. Avez-vous quelque chose à dire à Jean-Paul Alduy ?

– Christian BOURQUIN : “Chapeau ! Je vois dans ce comportement courageux et volontaire, les restes de la Droite républicaine, ceux qui sont fidèles à la République. L’intervention médiatique de Jean-Paul Alduy permet à une autre partie de l’ancienne majorité présidentielle de sortir grandie. Son attitude sauve l’honneur d’une partie de l’UMP. Je salue la force morale de Jean-Paul Alduy à travers le réflexe qu’il a eu de dire “non !” à toute compromission avec le FN”.

ouillade.eu : Quelle serait votre conclusion à cet entretien ?

– Christian BOURQUIN : “J’estime tout simplement être dans mon rôle en disant tout ce que je viens de dire dans le cadre de cette interview. J’ai la mission de définir un cap, à la tête de la Région Languedoc-Roussillon, pour nos territoires, j’ai aussi une mission de décrypteur et d’aiguillon de la vie politique locale en tant qu’élu de la République”.