Une partie du mouvement séparatiste accuse l’entourage de l’ancien président Carles Puigdemont, exilé en Belgique, d’avoir joué avec le feu en multipliant les contacts avec les services secrets du Kremlin

(par François-Xavier Gomez)
publié le 17 mars 2022 à 20h18

L’indépendantisme catalan a-t-il entretenu des liaisons dangereuses avec le Kremlin, voire avec des agents de renseignement russes ? L’accusation n’est pas nouvelle, mais est revenue au premier plan après l’invasion de l’Ukraine. Elle est désormais portée par une figure du camp séparatiste : Gabriel Rufián, porte-parole d’ERC (Gauche républicaine de Catalogne). Il s’en est pris avec véhémence mardi, à l’Assemblée des députés à Madrid, au parti centriste Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne, JxC). Il s’agit bien là de l’autre versant du séparatisme dont Carles Puigdemont, ancien président de la région exilé en Belgique depuis 2017 pour fuir les poursuites de la justice espagnole, est la figure de proue

«Quelques beaux messieurs ont sillonné l’Europe et se sont pris pour James Bond», a lancé, lors d’une conférence de presse, le député de Barcelone, habitué des coups d’éclat et grand amateur de tweets sarcastiques. «Ils ne nous représentent pas. […] Notre ligne de conduite en politique internationale n’a jamais consisté à rencontrer des satrapes», a-t-il ajouté, suscitant la colère parmi les défenseurs de Puigdemont. Ces derniers ont exigé (sans succès) qu’ERC désavoue son porte-parole. La rupture apparaît de plus en plus claire entre ERC, le parti de gauche de l’actuel président de la région Pere Aragonès et JxC.
Agents d’influence

L‘allusion à James Bond est claire pour qui suit le débat politique espagnol. Deux proches de Puigdemont : Josep Lluis Alay, son chef de cabinet, et Gonzalo Boye, son avocat, ont réalisé plusieurs voyages à Moscou ces dernières années. Les enquêteurs espagnols les soupçonnent de contacts avec les services de renseignement russes. Les deux hommes, interrogés par le New York Times dans le cadre d’une enquête publiée le 3 septembre, ont reconnu ces déplacements, qui seraient liés à leurs fonctions. Mais au-delà de leur mission de représentation du président déchu après la tentative de sécession d’octobre 2017, la liste de leurs interlocuteurs ainsi que le rôle d’un agent d’influence russo-catalan, Alexander Dmitrenko, intrigue.

L’ombre de Moscou dans le processus sécessionniste a, en effet, souvent été évoquée. La revendication d’une partie des Catalans de se séparer de l’Espagne a été traitée de façon très empathique par les médias d’Etat russes Sputnik ou Russia Today (RT). Un soutien du Kremlin, au moyen de ses outils de propagande, a été évoqué lors du référendum sur l’indépendance de l’Ecosse, la montée de la Ligue d’extrême droite italienne ou le mouvement des gilets jaunes français. Par le biais de milliers de faux comptes sur les réseaux sociaux déversant des fake news, les officines pro-Poutine semblent avoir cherché toutes les occasions pour affaiblir les pays de l’Union européenne. Et même les Etats-Unis, avec une activité en faveur de Donald Trump lors de sa première campagne.
Clients de l’immobilier de luxe

La côte méditerranéenne de la Catalogne est par ailleurs très prisée par les Russes. L’alphabet cyrillique y est omniprésent dans le secteur touristique : des enseignes commerciales aux menus des restaurants. Les investisseurs sont les clients privilégiés de l’immobilier de luxe dans la région, et certains bénéficient de titres de séjour, voire de la nationalité espagnole, grâce au système très contesté des «golden visas».
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Dans une longue interview publiée mercredi par le site espagnol Diario.es, Josep Lluis Alay explique qu’un seul de ses voyages à Moscou était lié à son travail de chef de cabinet de Puigdemont. L’objectif était alors de rencontrer les médias russes intéressés par une interview de l’ex-président. Des médias certes proches du Kremlin, comme la Komsomolskaïa Pravda mais eux seuls s’étaient manifestés, confie Alay.
Tabloïd de piètre réputation

Il est indéniable que Josep Lluis Alay a noué des liens étroits entre l‘ancien quotidien des Jeunesses communistes et la cause catalane. Après avoir interviewé à quelques mois d’intervalle Carles Puigdemont (sous le titre «la Barcelone indépendante sera l’amie de Moscou») et Quim Torras, son successeur, le journaliste Edvard Chesnokov plaidait en février 2019, dans un éditorial, pour une médiation de la Russie dans le conflit entre la Catalogne et l’Espagne. Malgré la piètre réputation de tabloïd de la Komsomolskaïa Pravda, le président régional Quim Torras et les médias catalanistes se firent largement l’écho de l’article.

Pour ses autres rencontres moscovites, l’ex-bras droit du président déchu donne des explications alambiquées. Ainsi, Andrei Bezrukov a été croisé dans les couloirs de la faculté d’Etudes internationales de Moscou, où il enseigne après avoir été un agent soviétique infiltré aux Etats-Unis, en compagnie de sa femme Yelena Vavilova. (Le couple est mondialement célèbre depuis que ses aventures ont été retracées dans une série à succès, The Americans.) Mieux : quand Yelena Vavilova publie son autobiographie, la Femme qui savait garder des secrets, elle ne trouve que deux pays pour la faire paraître hors de Russie : la Bulgarie et la Catalogne. Et le traducteur en langue catalane n’est autre que Josep Lluis Alay. Quant à la rencontre de ce dernier avec un conseiller haut placé du ministère de l’Energie, Arcady Seregin, elle avait pour seul motif une passion commune pour l’alpinisme.
«Stop Russophobia»

Pour tous ces contacts, le nom de l’intermédiaire, et citoyen russe, Alexander Dmitrenko revient à plusieurs reprises. Installé en Catalogne depuis une vingtaine d’années, il a créé l’agence de conseil Russcat, destinée aux acteurs économiques désireux de se développer en Catalogne ou en Russie. Cité dans l’enquête du New York Times comme agent de renseignement russe, il répond aux accusations sur un site personnel – qu’il semble avoir lancé dans ce seul but –, et dont le leitmotiv est «Stop Russophobia». «Je suis accusé par le simple fait d’être d’origine russe», se plaint-il. Marié à une Espagnole et vivant en Catalogne, il s’est pourtant vu refuser une demande de naturalisation, l’enquête administrative ayant conclu à des liens avec les services secrets de son pays d’origine.

L’ombre de ces derniers plane en outre sur l’organisation clandestine Tsunami Democratic, entrée en action en octobre 2019 après l’annonce des lourdes condamnations de treize responsables politiques catalans pour l’organisation du référendum interdit. Le mouvement, donnant des informations par une messagerie sécurisée à des dizaines de milliers d’activistes, était à l’origine de scènes de guérilla urbaine dans le centre de Barcelone pendant plusieurs nuits, de la paralysie de l’aéroport de la ville pendant une journée, et du blocage de l’autoroute entre la France et l’Espagne.

La connexion russe fracture la famille indépendantiste catalane https://www.liberation.fr/international/europe/la-connexion-russe-fracture-la-famille-independantiste-catalane-20220317_SL7SSCLP3BH3JPBJOTD6JS6SII/

 

 

https://www.eldebate.com/espana/20220316/asi-reunion-puigdemont-enviado-putin-ahora-trata-borrar.html