Christian BLANC, ancien maire (sans étiquette) de la commune Les Angles, ex conseiller général du canton de Mont Louis, président des Neiges Catalanes, vient d’adresser une Lettre Ouverte que nous publions ci-dessous dans son intégralité…
“Madame, monsieur, chers amis,
Depuis plusieurs semaines la presse s’est faite l’écho du projet de Grand Domaine Skiable avec la création de liaisons inter-stations entre Font-Romeu, Bolquère, Les Angles et Formiguères. Un projet dont l’objectif affiché par ceux qui le portent est « de rentrer dans le top 20 des stations françaises de sports d’hiver », de « créer le meilleur projet du point de vue clients » et « de rompre avec une approche insuffisamment business » !


En tant que citoyen, ayant toujours vécu dans ces montagnes, y ayant exercé mes activités professionnelles et mes diverses responsabilités d’élu, j’ai considéré que je ne pouvais rester silencieux devant ce projet de « supermarché du ski » dont les conséquences, s’il se réalisait,  seraient de porter une atteinte irréversible à l’environnement, de dénaturer nos paysages, de rompre les équilibres écologiques et en outre d’engager les communes dans une hérésie financière, économique, stratégique, avec de graves répercussions sociales pour les habitants et les résidents de Cerdagne, Capcir et Haut Conflent.


Une atteinte irréversible à l’environnement : Alors que nous sommes confrontés au réchauffement climatique, ce que personne ne peut plus contester (COP 21), alors que la fréquentation des stations de ski tous massifs confondus est en stagnation, voire en régression depuis une dizaine d’années, alors que toutes les stations de ski s’engagent dans une démarche de diversification de l’offre touristique, vouloir créer un immense domaine skiable avec de nouvelles remontées mécaniques, des pistes supplémentaires,  des canons à neige, et diverses infrastructures dans ces vallées jusqu’à ce jour préservées et, de plus, situées au cÅ“ur du Parc naturel régional des Pyrénées catalanes est totalement irresponsable. Ce projet est en outre en totale contradiction avec la charte du parc naturel (PNR) qui a été approuvée par tous les élus y compris ceux qui le portent. La décision de ces derniers est d’autant plus incompréhensible au regard de l’impasse juridique dans laquelle ils s’engagent.


Les vallées des Bouillouses, du lac d’Aude, de Vallserra, de la Balmeta, de la Lladura, le puig de la costa del Pam, constituent un trésor exceptionnel de par leurs richesses environnementales, leur biodiversité, leurs écosystèmes. Seule leur préservation permettra, sur le long terme, le maintien des activités liées à la vie en montagne tout au long de l’année (agriculture, élevage, gestion forestière, patrimoine culturel, randonnées, chasse et pêche…).


Ces sites de très haute qualité environnementale ont été reconnus à travers divers classements  (Natura 2000, ZNIEFF, site classé, forêt patrimoine, etc…). Ils constituent pour les générations futures un patrimoine inestimable. Aucun projet économique ne peut justifier leur destruction, même si sa rentabilité en était démontrée, ce qui en l’occurrence n’est absolument pas le cas.


Une hérésie financière, économique et stratégique : Ce projet évalué grossièrement à 70 millions d’euros et dont nombre de coûts n’ont pas été intégrés (problèmes de fermeture de remontées mécaniques et de sécurité liés aux intempéries, rapatriement des skieurs, évolution des coûts de l’énergie, problématique des ressources en eau, pollutions diverses, risque incendie…), est inamortissable. Les perspectives de recettes présentées, qui laissent croire que les augmentations de clientèles et tarifaires pourraient permettre l’équilibre financier, sont illusoires.


Courir derrière le modèle industriel alpin ou andorran en s’engageant dans une telle fuite en avant va à contresens de l’histoire tant sur le plan environnemental,  climatique qu’économique.


Un risque majeur de fracture sociale : Ce projet, s’il était mis en œuvre, aurait pour conséquence d’affaiblir les petites stations (Espace Cambre d’Ase, Puyvalador, La Llagonne et  Porté-Puymorens). Le rôle structurant de ces petites stations est pourtant incontestable. Elles participent à la vie de chaque vallée.  Elles génèrent des dizaines d’emplois de proximité. Par leur activité elles ont un rôle indispensable aux équilibres sociaux et au développement harmonieux de notre territoire.


Le risque de fracture entre la population des différents territoires est réel. Comme nous pouvons le constater en plaine du Roussillon, ce projet de « grande surface du ski » aura les mêmes conséquences que celui de la grande distribution sur les petits commerces de quartier et ruraux, sur les métiers induits et connexes. Ce modèle qui détruit plus qu’il ne porte de créations d’emplois est en rupture avec les équilibres indispensables aux territoires de montagne.


Un projet alternatif est possible ! Le développement de l’économie des hauts cantons avec à la clé la création d’emplois durables passe par l’élaboration d’un projet de territoire cohérent et solidaire, avec bien sûr la consolidation des stations de ski existantes, y compris le Puigmal, en privilégiant leur restructuration qualitative et leur maintien à taille humaine. Il associerait toutes les activités et les équipements déjà présents et dont la diversité est unique :


–  eaux chaudes, espaces aqua-ludiques, parc animalier, fours solaires, fermes pédagogiques…

– train jaune, 

Рsite class̩ des Bouillouses,

– équipements de santé, de « bien être » et de remise en forme,

Рagriculture, ̩levages et produits de terroirs,

– énergies renouvelables (Themis, bois…),

– patrimoine historique (cités Vauban, musées, sites archéologiques…),

Рpatrimoine naturel (faune, flore, g̩ologie et paysages),

– événements sportifs et culturels…


En favorisant des pratiques douces et non invasives telles les activités nordiques, la marche, la contemplation… un véritable projet de territoire saura également répondre aux  attentes des 50 % de séjournants qui ne pratiquent pas exclusivement le ski de piste.
Sans budget inconsidéré et avec le soutien des différentes collectivités territoriales tous ces atouts peuvent être valorisés pour que s’enclenche une dynamique, une nouvelle ère porteuse d’avenir et en résonnance avec les attentes de ceux qui vivent sur ce territoire et de ceux qui le fréquentent.


De plus, le projet de méga domaine skiable prévoit d’engloutir 700 000 € d’études préalables à fonds perdu. Ces sommes pourraient d’ores et déjà être affectées en soutien aux stations de ski qui ne manqueront pas d’être en difficulté après l’hiver que nous traversons et à poser les premières fondations d’un projet alternatif.


Face à ces enjeux fondamentaux, j’appelle les élus des communes porteuses du projet de grand domaine skiable, dont je connais pour la plupart les valeurs et l’attachement à ce territoire, à faire preuve de clairvoyance, de raison et de sagesse. J’appelle également les citoyens de Cerdagne, Capcir, Haut Conflent et au-delà, de tout le département, à se mobiliser, s’organiser et agir pour que l’irréparable ne soit pas commis, pour que ces dernières vallées encore préservées ne soient pas défigurées pour toujours.


Il n’est pas trop tard pour renoncer à ce projet aux conséquences désastreuses tant au niveau  environnemental que financier, économique, social et stratégique et qui va à l’encontre de nos valeurs et de notre conception solidaire d’un territoire montagnard”.


Christian BLANC.