Elle était magnifique de talent. Un talent qui éclatait dès qu’elle arrivait sur scène. Ses chansons n’avaient jamais voulu pactiser avec celles du show-business, elles valaient beaucoup mieux que cela ! Le mariage était impossible, la foule et le grand public : c’était incompatible avec sa création artistique tellement poétique et intime qu’elle ne pouvait que s’éloigner de la mièvrerie et de l’entonnoir médiatique.

J’ai suivi Anne Sylvestre* depuis mon adolescence. J’avais 16 ans quand je chantais : « …jamais on ne vous dérange, on peut arriver je crois, à l’heure la plus étrange, sans trouver visage de bois… », mais aussi « Lazare et Cécile », « Un mur pour pleurer », « Une sorcière comme les autres ». Des chansons qui avaient du sens, ô combien, des chansons sculptées dans un bois imputrescible.

Avec beaucoup d’humour elle savait égrainer dans ses textes les thèmes de la vie de tous les jours, le dérisoire, le tragique, l’intolérable…elle avait de la voix et savait en jouer avec finesse. Son écriture restait solide, subtile, percutante, très personnelle. La ligne poétique, toujours présente, n’était jamais trahie. « L’écriture d’une chanson ? Je sais faire ! », disait-elle avec son caractère bien trempé.

Je l’avais applaudie à tout rompre, il y a quelques années, au théâtre Saint-Germain-des-Prés, à Paris. Je garde de ces instants une émotion profonde. Elle fut ce soir là égale à elle même, et plus encore, avec dans ses bagages de nouvelles mélodies, de nouveaux textes : « Compostelle, à Pierre », un titre qui m’avait beaucoup ému, et qui faisait partie de son avant dernier album : « Les chemins du vent ».

Pour ses enregistrements, l’orchestration et la direction musicale étaient confiées à Jean-François Rauber, excusez du peu !

Elle restait sobre sur scène, accompagnée d’une contrebasse, d’une flûte, d’une guitare, d’un piano parfois. Elle crevait l’écran. Sa personnalité très forte, sa façon de bouger, sa gestuelle, son sourire complice me captivaient.

Anne ne trichait pas. Elle sera restée elle-même, jusqu’au dernier instant, rebelle et engagée dans la plupart de ses compositions.

Une vie pour la chanson ? On peut le dire sans la moindre hésitation.

Elle devait d’ailleurs reprendre une tournée en janvier prochain du haut de ses 86 ans.

Au revoir Anne et merci pour ces inoubliables moments d’émotion…

Je « cherche un mur pour pleurer ».

 

Pierre Leberger

 

*Anne Sylvestre, de son vrai nom Anne-Marie Thérèse Beugras, chanteuse française, auteure-compositrice-interprète et écrivaine, née le 20 juin 1934 dans le 6e arrondissement de Lyon (Rhône), est morte le 30 novembre 2020 à Paris.