Marie-Pierre Baux.

Lorsque, ce mardi 5 mars 2013, à 11h et des poussières (d’étoiles), nous l’avons appelé pour lui demander de réagir à la triste nouvelle concernant le décès de Jérôme Savary, avec lequel elle a collaboré toute une décennie durant, Marie-Pierre Baux, fondatrice du festival Estivales de Perpignan, n’a pu retenir ses émotions, son chagrin immense : “Oh !, mon Dieu… Je suis triste… Je l’aimais beaucoup… J’ai tellement partagé de formidables aventures professionneles avec lui… Nous étions devenus de vrais amis…”.

Extrait de « Des Jours et des Nuits dans les Etoiles, biographie  d’un festival », par Marie-Pierre Baux :

 

Chapitre sur Jérôme Savary : une décennie de collaboration et d’amitié

«  Jérôme Savary, l’ami  américain…*[1]

Y a d’La Joie (1997)

El Burges Gentilhombre Tropical (1998)

Chano Poso (2003)

Loooking for Joséphine (2006)

Notre collaboration s’est poursuivie de la meilleure manière dès  l’année suivante.

Jérôme Savary est un artiste hors normes, une sorte d’homme orchestre boulimique et talentueux : metteur en scène (y compris d’Opéra), comédien, musicien, directeur de compagnie… Après l’aventure du Grand Magic Circus, symbole de toute une génération (années 60/70), il fut ensuite directeur du CDN de Montpellier/LR, du Théâtre National de Chaillot puis de l’Opéra Comique avant de reprendre la route….

« Avec un superbe esprit de dérision, une énergie prodigieuse, et beaucoup d’improvisation, il monte, à mi-chemin de la manif et de l’opéra, des spectacles de rue, des revues-ballets.. »

Après le rendez vous manqué « censuré » du retour du Grand Magic Circus , nous  avons participé à la coproduction de «Y a’ D la Joie »et de « El Burges Tropical » …

Une décennie de projets, d’échanges professionnels et amicaux, dont nous avons eu toujours le meilleur ! Ce créateur prolifique peut aussi être capable du pire, mais cela c’est une autre histoire, cela dépend aussi des points de vue, du temps et du budget dont il dispose ! Il a signé des grands moments de Théâtre qui ont fait date, parmi lesquels « Cyrano » avec Huster et Weber, « La Femme  du boulanger » avec Galabru, «Cabaret »  avec Ute Lemper,….

Nous n’avons partagé que du bon et du très bon jusqu’au dernier projet ensemble : en 2006 sa création sur Joséphine Baker, « Looking for Joséphine» révéla de jeunes artistes américains excellents (certains issus de Brodway comme Nicole Rochelle éblouissante dans le rôle titre, avec la verve, le brio, l’humour de Joséphine Baker).

« Y a d’La Joie » avec Savary et Trenet !

1997. Notre premier projet ensemble, me tenait particulièrement à cœur. Savary préparait un spectacle musical sur Charles Trenet.

Outre le fait d’être née à Narbonne tout près de la maison du poète,  j’aime son univers décalé. Certaines de ses chansons ponctuent mes souvenirs d’enfance, en particulier « la Mer » , qu’il a composée  dans le train entre Narbonne et Perpignan, la Méditerranée et les Étangs[2], lieux des dimanches de mon enfance. Paysages émouvants, d’une beauté sans cesse recréée par les variations de lumière sur les étangs et la mer avec en fond immuable la silhouette du Canigou , comme le Fujiyama dans les  estampes de Hokusaï.

Jérôme Savary souhaitait rendre hommage à l’immense poète qu’est Charles Trenet et transposer à la scène l’univers qu’il crée dans ses chansons.

« Il n’est jamais trop tard pour avoir une enfance heureuse ».

Picasso

 

Road Movie de la  Nationale 7 

Ainsi il imagina avec Jacques Pessis, exégète de l’œuvre et ami de Trenet : « Une histoire simple comme les chansons de Trenet, pas bavarde pour laisser la plus grande place à la musique, mais qui tienne debout »[3].

De cette idée – point de départ naquit une comédie musicale, vraie « road movie » de la Nationale 7. Cette route qui n’était pas encore autoroute, symbolisait une époque, d’abord celle de 1936, les premiers congés payés, le Front Popu, les premiers départs en vacances de masse vers le Midi, puis la France insouciante de l’après guerre, le bord de mer en quête d’oubli et de loisirs simples…. C’était ludique et festif : le choix des chansons, leur mise en scène, le décor, créaient un univers gai, fantaisiste, haut en couleurs qui évoquait bien l’imaginaire de Trenet dont l’enfance n’est jamais très loin. Un peu cartoon, nostalgique et un brin suranné, tendre et naïf, entre Matisse pour la « Joie de vivre » et Douanier-Rousseau pour le décor….

Avec la bande de copains de Savary,  bourrés de nombreux talents, Mona Heftre, Michel Dussarat, Gérard Daguerre[4] ….

Nous présentions cette création en première mondiale avant le Théâtre National de Chaillot (coproducteur) et la tournée internationale qui  dura jusqu’en 2000.

Le grand Trenet âgé alors de 84 ans avait promis d’assister à la première. Nous  étions honorés et en même inquiets, craignant qu’il ne change d’avis, sa relation avec Perpignan étant assez complexe : en effet, il y séjourna –chez son père-une partie de sa jeunesse[5] et  rencontra son mentor, Louis Bausil qui a joué le  rôle de Pygmalion au début de sa carrière.

Mais à Perpignan, il avait  aussi une « chronique judiciaire » –disait-on du bout des lèvres!- et la ville ne lui avait jamais rendu aucun hommage de quelque nature que ce soit, contrairement à Narbonne –la ville de sa mère- qui célèbre et revendique « son poète ». Un festival annuel « Charles Trenet » vient d’ailleurs d’être crée. Il a lieu vers la fin août.

De fait, il décida qu’il ne viendrait assister à cette première que si les édiles de la Ville montraient un signe de reconnaissance quelconque. Certains élus en effet, étaient farouchement opposés à toute forme d’honneur au prétexte qu’il avait eu dans le passé maille à partir avec la justice pour des « affaires de mœurs ». Et….me croirez vous si je vous dis que l’opposant le plus déterminé était toujours ce même adjoint qui s’était déjà illustré en censurant  le « Grand Magic Circus » ! Trop de vertu tue la vertu, non ?…..

Aussi afin de pouvoir constituer un contre pouvoir et éviter à nouveau l’annulation du spectacle de Savary (qui était furieux, on frôlait la machination !!!), nous avons du créer une « Association des amis de Charles Trenet » pour faire évoluer la situation. Grâce à quoi, nous avons enfin réussi à faire bouger les lignes : in fine le maire  JPA (Ndlr. Jean-Paul Alduy), proposa de baptiser la salle de spectacle du Palais des Congrès, « Salle Charles Trenet »… L’artiste voulait juste un geste symbolique, ce fut suffisant pour restaurer le lien.

Il assista donc à la première accompagné de son ami Charles Aznavour. Le spectacle le ravit, il était heureux, et en fin de spectacle, il rejoignit les artistes sur scène pour chanter avec Mona Heftre « La Chanson du Poète » : « Longtemps, longtemps, longtemps après que les poètes ont disparu, leurs chansons trainent toujours dans les rues….. ».

Un frisson d’émotion parcourut le public debout  qui fredonna à son tour cette si belle œuvre. Trenet devait s’éteindre 4 ans plus tard en 2001.

 

 

 


[1]

Il est né aux Etats-Unis, mais surtout il a de multiples talents comme beaucoup d’artistes américains qui peuvent chanter, jouer la comédie, danser….

 

[2]

[3]              Citation de Jérôme Savary

 

[4]              Le Magic Circus

 

[5]