(Vu sur la Toile)

 

En cavale depuis 20 ans, un Français rattrapé en Indonésie pour un double meurtre au Guatemala
(Thomas Martin – Rédaction de l’hebdomadaire Marianne)
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Marianne.- Selon la justice française, pour une raison financière, Thierry Ascione aurait commandité le meurtre de Marie-Antoinette Perriard et de Bernard Béreaud, un couple de restaurateurs français installés au Guatemala. Les deux ont été retrouvés mort le 28 décembre 1991, dans la capitale de ce pays d’Amérique centrale, Guatemala City.
Une tempête d’une rare violence s’abat à l’ouest de l’océan Pacifique ce 4 octobre 2021. Ce jour-là, un petit voilier parti de Thaïlande tangue dangereusement sous les trombes d’eau. D’un coup, les deux Français qui forment l’équipage sursautent. Dans un éclair aveuglant, la foudre vient de s’abattre sur le mat. À bord, c’est la panique. L’électronique vient de griller, le radar ne fonctionne plus.

Pour ne pas risquer le naufrage, les deux matelots n’ont qu’une solution : regagner le rivage au plus vite.Thierry Ascione, 62 ans, le plus expérimenté de deux navigateurs, sort son téléphone portable de sa poche.

Le GPS de son appareil est le seul instrument de navigation qui fonctionne encore. L’homme grisonnant, à la barbe de trois jours, regarde son petit écran puis tourne la barre à bâbord. Il prend la direction de Karatung en Indonésie, l’île la plus proche.

Six heures plus tard, aidés par un bateau de pêche, les deux hommes posent enfin le pied sur la terre ferme. Thierry Ascione devrait se réjouir d’être enfin en sécurité. Mais en entendant les gardes-côtes indonésiens réclamer ses papiers, le globe-trotteur à l’accent marseillais perd son sourire. Il tend son vieux passeport, l’air défait. Sous ses yeux, les policiers locaux s’agitent, se regardent, incrédules. Sur leur ordinateur s’affiche la notice Interpol de couleur rouge, dont Ascione fait l’objet. Les agents multiplient les coups de fil au consulat de France, aux services de l’immigration… Thierry Ascione comprend. Il ne reprendra pas la mer.

Les autorités indonésiennes lui notifient une interdiction de quitter le territoire, en attendant que la police française vienne le cueillir.

 

Tortures et assassinats

 

 

Pour lui, ce naufrage en pleine mer vient de signer la fin d’une cavale de plus de vingt ans. Ce navigateur malchanceux aurait dû être derrière les barreaux depuis longtemps.

En 2000, Thierry Ascione a été condamné par contumace à la perpétuité. Selon la justice française, pour une raison financière, il aurait commandité le meurtre de Marie-Antoinette Perriard et de Bernard Béreaud, un couple de restaurateurs français installés au Guatemala.

Les deux ont été retrouvés mort le 28 décembre 1991, dans la capitale de ce pays d’Amérique centrale, Guatemala City.

L’affaire avait défrayé la chronique. Marie-Antoinette Perriard et Bernard Béreaud étaient des expatriés très appréciés de Guatemala City.

Ces restaurateurs étaient à la tête de l’établissement « Chez Pierre », l’une des meilleures tables de la ville. Leur restaurant recevait chaque jour des hommes d’affaires, des hommes politiques et de riches entrepreneurs du pays. Leur affaire fonctionnait bien et le couple menait la grande vie. Marie-Antoinette Perriard et Bernard Béreaud habitaient dans les beaux quartiers de la capitale et avaient pour habitude de passer leurs week-ends à Miami où ils avaient des amis.

La découverte de leurs corps avait choqué la population. Au petit matin, un gamin des bidonvilles avait trouvé un sac-poubelle bleu, dans les hautes herbes d’un terrain vague et l’avait éventré à l’aide d’un bâton. Une nuée de mouches vertes s’était échappée du réceptacle puant. Le jeune garçon était alors tombé nez à nez avec une tête de femme, celle de Marie-Antoinette Perriard. Son cadavre était calciné. Ses yeux avaient été crevés, sa langue coupée. Le légiste dépêché sur place avait constaté que la victime avait subi des tortures avant d’être achevée d’une balle dans la tête.

Bernard Béreaud, son compagnon, sera retrouvé à quelques mètres de là dans un état similaire, avec les parties génitales coupées.

 

Mobile financier

 

 

Au Guatemala, l’enquête avait été rapide. Un jeune commissaire avait d’abord identifié les victimes et retracé leurs emplois du temps. Marie-Antoinette Perriard et Bernard Béreaud n’avaient donné de nouvelles à personne depuis le 25 décembre 1991. Ils n’étaient pas montés dans l’avion à destination de Miami qu’ils devaient emprunter pour y passer les fêtes de fin d’année.

Selon le directeur d’enquête, les victimes avaient été tuées sur le chemin de l’aéroport. L’assassin devait donc connaître leur planning et leurs habitudes. La piste d’un tueur proche des victimes était privilégiée.

L’enquêteur s’était ensuite orienté sur la piste financière. Le 21 janvier 1992, il avait reçu un rapport sur les comptes bancaires du couple de victimes. Il apprenait que des chèques pour un montant de 80 000 dollars avaient été débités sur l’un des comptes du couple, à Miami.

L’homme qui avait encaissé ces chèques n’avait pas tardé à être identifié. Il s’agissait de Thierry Ascione. Pour le jeune flic, tout concordait. Ascione avait une réputation douteuse. Il avait été condamné plusieurs fois en France pour escroqueries et pour une série de braquages commise à Marseille en solo. Il s’était installé à Guatemala pour des raisons professionnelles. Il connaissait Marie-Antoinette Perriard, et Bernard Béreaud et allait parfois déjeuner dans leur restaurant. Il était très ami avec Jean-Philippe Bernard, le neveu du couple de victimes qui travaillait dans leur restaurant.

Selon plusieurs témoins, le suspect était en mauvais termes avec Marie-Antoinette qui l’accusait d’avoir une mauvaise influence sur son neveu. Le 27 janvier 1991, le directeur d’enquête décide de passer aux interpellations. Plusieurs voitures de police déboulent sur les hauteurs de Guatemala City, devant la belle villa qu’occupait Thierry Ascione. Mais leur suspect s’est fait la malle. Seuls sont présents Jean-Philippe Bernard et un ami. Soupçonnés tous deux d’avoir également participé à l’assassinat, ils sont interpellés.

Les deux seront condamnés à 30 ans de prison et purgeront leur peine au Guatemala.

 

Double cavale

 

 

Thierry Ascione disparaît des radars. Il réapparaît en 1995 lorsqu’il accepte, depuis Bangkok où il est installé, de donner deux interviews à TF1 et Libération.

Le jeudi 7 septembre 1995 après son quart d’heure médiatique, les autorités françaises décident de l’interpeller. Thierry Ascione est conduit en France et incarcéré. Derrière les barreaux, il clame son innocence. Les chèques ? Il reconnaît les avoir volés et encaissés, mais il nie tout acte de violence. Ce vol et les assassinats ne sont pas liés, pour lui.

Pour la première fois, Thierry Ascione parle des victimes. Il les décrit comme un couple jouant un double jeu, dangereux. Selon lui, Marie-Antoinette Perriard et Bernard Béreaud faisaient du blanchiment d’argent avec des narcotrafiquants. Ils auraient été victimes d’une vengeance de la part des trafiquants qu’ils auraient trahis en les dénonçant à la DEA, l’organisme américain chargé de lutter contre le trafic de drogues.

Ascione déclare que les victimes auraient également blanchi de l’argent d’un trafic d’armes organisé entre un député RPR et le gouvernement guatémaltèque. Un juge d’instruction est nommé pour enquêter. Le célèbre magistrat Gilbert Thiel se charge du dossier. L’instruction dure deux ans. Le juge voyage dans plusieurs pays mais ne parvient pas à lever toutes les zones d’ombre.

Le magistrat n’explique pas, par exemple, pourquoi le seul témoin visuel des faits a obtenu l’asile politique au Canada, deux semaines après avoir témoigné, ni comment l’exil de ce gardien de parking a été financé. Malgré cela, le magistrat décide de renvoyer Thierry Ascione devant la cour d’assises. Les dés semblent jetés pour l’ancien braqueur. Mais une nouvelle chance lui sourit. Les délais d’audiencement sont trop longs. La cour d’assises ne peut le juger dans les temps. En mai 2000, quatre mois avant son procès, il est remis en liberté.

Le 3 octobre 2000, alors que les jurés se réunissent pour juger son affaire, Ascione ne se présente pas devant ses juges. Il s’est envolé une nouvelle fois. Sa cavale durera vingt ans. Jusqu’au naufrage, ce 4 octobre 2021. Thierry Ascione aura ainsi visité plusieurs pays, avec de fausses identités. Il dit avoir créé de nombreuses entreprises et même avoir travaillé auprès d’hommes politiques étrangers.

A l’heure où nous écrivons ces lignes, Thierry Ascione est toujours bloqué en Indonésie. Les autorités françaises ne l’ont pas encore extradé.

 

Clamer son innocence sur Internet

 

 

Depuis la chambre d’hôtel où il passe l’essentiel de ses journées, il clame son innocence.

Sur Internet, il ne cesse d’accuser le juge Thiel de ne pas avoir mené son instruction à son terme. « Dans son livre On ne réveille pas un juge qui dort (Fayard, 2002) le juge Thiel écrit qu’il n’a pas pu vérifier les comptes en banque des victimes car le FBI l’a empêché de le faire. Pourtant, dans le même temps, il m’accuse de les avoir vidés. Je demande à la justice française de vérifier ces comptes, de dire qui a pris l’argent qu’il y avait dessus », implore-t-il.

Thierry Ascione estime que ces comptes bancaires sont centraux pour prouver son innocence. Démontrer que quelqu’un d’autre que lui y a touché revient à faire tomber le mobile du crime pour lequel il a été condamné.

Le roi de la cavale va plus loin. Dans des vidéos postées sur Youtube, il accuse un ancien homme politique français d’avoir volé cet argent et jure d’avoir les preuves de ce qu’il avance.

Thierry Ascione sait qu’en publiant sur Internet de tels propos, il s’expose à des plaintes en diffamation mais il l’assume. Pour lui, la justice a laissé trois innocents, dont lui-même, être condamnés à tort, tout cela pour protéger un ancien député du RPR.

Thierry Ascione sera bientôt extradé en France. Il pourra alors demander à être jugé une nouvelle fois. L’occasion lui sera alors donnée de se confronter directement avec ceux qu’il accuse. À moins que d’ici là, l’appel du large ne lui revienne…

Thomas Martin (Marianne)