L’écrivain, qui a vécu en Algérie de 1949 à 1962, n’y était jamais revenu, bien que ce pays soit au centre de son œuvre. « Je voulais leur dire mon amour » est le beau livre d’un retour déçu. Jean-Noël PANCRAZI ouvre la saison littéraire du Centre Méditerranéen de Littérature (CML), vendredi 1er février.

Né à Sétif en 1949, Jean-Noël PANCRAZI a vécu à Batna avant de s’exiler avec sa famille, juste après les accords d’Evian. Crève-cœur, déracinement, vie à Perpignan. On est en 1962.Cinquante-trois plus tard, le romancier revient à Bône, devenu Annaba (ancienne Hippone de Saint Augustin) pour être juré dans le nouveau festival cinématographique qui décerne les « Anab d’or » parmi une sélection de films des bords de la Méditerranée.

Le récit Je voulais leur dire mon amour retrace avec acuité, mémoire et nostalgie un voyage aller/retour amer ; l’écrivain se faisait une joie de revoir la terre natale, de retourner, comme on lui avait promis, une fois le festival clôturé, dans la ville de sa dernière résidence algérienne de 1962, Batna.

Les époques se bousculent : son amour du cinéma l’a toujours traversé ; les salles de cinéma interfèrent, du Régent de l’enfance et des palmes de Cannes que l’on passait avec retard à la salle de projection d’Annaba, son regard réévalue le monde perdu, le recrée, à sa manière, mélancolique, en de très longues phrases charpentées, toujours lisibles, d’un style inouï. On reconnaît à sa patte cet univers qui enserre dans les longs développements le cœur mis à l’épreuve du temps et de ses secousses. À Batna, durant la guerre d’Algérie, il y a eu pour le jeune ado une explosion au cœur d’un cinéma. Aujourd’hui, à Annaba, on évoque dans les films les problèmes aigus du temps : terrorisme et immigration. Le temps d’une phrase, même brève, on passe d’une période à l’aujourd’hui (décembre 2015, premier festival).

C’est l’occasion pour le romancier subtil de recréer un contexte, comme il l’a très bien fait dans Madame Arnoul et Renée Camps, ou encore dans le récit La montagne, plus récent qui a reçu le prix Méditerranée 2012.

“Bouteflika, c’est mieux que la guerre !”

Les décors, les parfums, les usages sont passés au filtre d’une sensibilité de tous les instants, au tamis d’un style reconnaissable entre tous, à l’aune des prosateurs Bianciotti, De Ceccatty. De longues phrases toutes de circonvolutions favorisent, il me semble, une prise en compte des diverses réalités et matières qui tressent la mémoire de ce narrateur, apte à saisir, au-delà de l’émotion, au-delà des pures sensations, l’enveloppante nature du temps, ambigu, complexe, qui imprègne sa conscience, l’attise et lui fait énoncer sur ce mode sa propre remémoration des jours perdus. La beauté poignante du livre tient évidemment à sa chute, que nous ne dévoilerons pas ; le lecteur, qui connaît un peu ce mémorialiste sensible, sortira de Je voulais leur dire mon amour avec l’âme pincée de détresse, signe des grands livres, partageables, que l’on ne peut oublier.

À l’évidence, ce séjour, ces retrouvailles, si attendues et au final sabotées, ont marqué Jean-Noël Pancrazi : « Là-bas, j’étais bien, j’aurais pu rester. Même y mourir ! Mais je n’ai pas renoncé à retourner en Algérie, au contraire. »

Et, avec le livre, sont venus l’apaisement, le temps de l’analyse. « Je comprends les Algériens. Même si leur régime est loin d’être parfait, Bouteflika, c’est mieux que la guerre ! Les gens restent marqués par ce qu’ils appellent “la décennie noire”, quand les terroristes frappaient aveuglément, de tous côtés. Ils ne peuvent pas se permettre le luxe d’une autre guerre civile, ni d’une révolution. C’est pour cela qu’en dépit de tous leurs problèmes, il n’y a pas eu de printemps algérien. »

 

 

Le programme…

vendredi 1er février 2019 à 18h , salon Jean d’Ormesson · Hôtel Pams · 18 rue Émile Zola · Perpignan, rencontre avec Jean-Noël PANCRAZI, membre du prix Renaudot, prix Méditerranée 2012, pour la présentation et la dédicace de son roman : Je voulais leur dire mon amour (éditions Gallimard)

Entrée libre.