8ème Festival Semaine Flamenco de Rivesaltes.

… et si tu n’existais pas …

Lettre ouverte à un événement peu connu en local et dont on parle beaucoup à l’international.

“Eh bien vois-tu, si tu n’existais pas, Festival, Rivesaltes ne se transformerait pas fin août en ruche laborieuse et bruyante. D’abord ce sont des dizaines de bénévoles qui s’abattent sur le lycée agricole pour le transformer en quelques jours en « Palais du Festival ». Cette année l’innovation était dans la déco : des lieux du lycée détournés en petit coin d’Andalousie par la magie de grandes bâches représentant des façades fleuries de Grenade. Puis, place à ces 436 stagiaires (record français) venus de toute l’Europe et même d’Extrême Orient qui tapent du pied dans trois salles différentes, frappent des mains dans la cour, chantent, jouent de la guitare, du « cajón » et même, (autre nouveauté 2015 très appréciée par les participants et ton exclusivité, Festival) travaillent sur la nomenclature spécifique du flamenco dans un atelier de langue appliquée.

Si tu n’existais pas, il n’y aurait pas de défilé de mode flamenca avec tous ces mannequins d’un jour heureuses de montrer les volants et falbalas crées par Fuensanta, une couturière de chez nous. Pas de récital de chant sous le platane de la place de l’ancienne mairie, où chaque année le clocher républicain accueille avec malice un maestro du chant. Et cette fois Gabriel de la Tomasa, descendant d’une prestigieuse lignée d’artistes sévillans, a perpétué la tradition de l’excellence avec à ses côtés et à la guitare l’accompagnateur des plus grands, Rafael Rodriguez, El Cabeza très inspiré.

Et pas de soirée des stagiaires, si tu n’existais pas ; cette soirée où dès le mercredi soir les élèves acceptent de montrer le travail accompli en peu de jours. Sais-tu que tu es le seul à faire cela, Festival ? Et que cela te confère une qualité de convivialité inégalable et indispensable pour le flamenco.

Si tu n’existais pas, comment aurions nous pu avoir dans le département Farruquito, le grand, le médiatique, le charismatique petit fils du légendaire Farruco ? Une star internationale, Festival ! En ouverture il a démontré par son spectacle « Improvisao », que le flamenco est avant tout l’expression d’un héritage douloureux, un déchirement de l’âme, universel, une ode à la dignité et à la vitalité de cet art.

Et Milagros Menjibar, Festival ? Cette grande dame, référence de la danse de l’Ecole Andalouse est venue divulguer son savoir d’une part et présenter sur scène d’autre part « Piel de bata » un spectacle en forme de passation de pouvoir où elle met en avant le talent de Luisa Palicio dans le maniement de la bata de cola (la robe à traîne volantée). Prouesse technique, raffinement et sensualité étaient au rendez-vous. La maîtresse, elle, a donné une leçon de lyrisme, d’élégance et de tempérament.

Si tu n’existais pas, Festival, le public d’ici n’aurait pas découvert Felipe Mato et son surprenant « A veces, solo voces ». Parfois, juste des voix. On connaissait ses talents de pédagogue, le voici qui arrive dans la cour des grands avec un spectacle poignant où le danseur se débat au milieu des contraintes pour trouver le chemin de la création et de la liberté. Des tableaux puissants, une véritable écriture scénique avec juste un bémol : le choix de l’artiste invitée, Marina Valiente, qui a un peu trop érotisé le rôle de la femme fatale.

Et comment mieux finir cette édition consacrée à Séville qu’avec Pastora Galván, Festival ? La « bailaora » répond à l’injonction : « Pastora, baila ! » Pastora, danse ! Et elle danse, comme lui a appris son père, le maestro qui a formé tous ces talents qui sillonnent la planète, sa mère, danseuse gitane, son frère, Israel, le Nijinsky du flamenco et son cÅ“ur et ses tripes qu’elle projette sur scène avec fureur et intelligence dans un déferlement d’émotions, de grâce et de truculence. Un point d’orgue somptueux pour une symphonie d’une semaine jouée aussi par tant d’autres talents accompagnateurs des vedettes.

Si tu n’existais pas, Festival, il n’y aurait pas ces soirées bodegas où tous les aficionados se retrouvent après les grands spectacles des Dômes. Encore une réussite en terme de convivialité, Festival, car tu sais ménager les moments de détente entre amis, ces amitiés improbables écloses grâce à toi, Festival, et qui modifient la géographie mondiale en faisant de Charleville Mézières un village de Guadeloupe et de Jérusalem un faubourg de Céret. Rires, bonne humeur, plaisir de partager cette passion du flamenco, en plein air devant un spectacle de qualité donné par les meilleurs artistes du sud de la France, ce sont tous ces moments précieux, stages, spectacles, soirées andalouses, qui font de toi, Festival Semaine Flamenco de Rivesaltes un trésor et un orgueil de plus de notre terre catalane. Per molts anys Festival ! Merci à toi, tes créateurs et ta vaillante armée de l’ombre d’Amor Flamenco. A l’année prochaine”.

Dolores Triviño