Jean-Paul Alduy (UDI), président de Perpignan Méditerranée Communauté d’Agglomération (PMCA), 1er adjoint de Perpignan, a accordé à ouillade.eu un entretien à l’occasion de la parution, ce samedi 15 février 2014, de son livre “Une vie pour construire, Une autre idée de la politique”, publié aux Editions Les Presses de Littéraires.

Au verso de la couverture du livre, Jean-Paul Alduy plante le décor : “Lorsque je fais le bilan de ma vie publique, je me convaincs qu’il me faut parler, que toute vie, aussi banale soit-elle, constitue une pierre, un caillou qui construit le chemin sur lequel les sociétés avancent ; et ma pierre à Perpignan est clairement visible (…)”.

A l’occasion de cet entretien, Jean-Paul Alduy évoque également les prochaines élections municipales sur Perpignan, ainsi qu’il dresse le portrait de celui qui devra lui succéder aux commandes de PMCA.

Chacun sait depuis le 30 janvier dernier que Jean-Paul Alduy ne se représentera pas, qu’il a décidé de tirer sa révérence ou, plutôt, comme il le dit lui-même : “de descendre de l’estrade politique”.

 

– ouillade.eu : Et d’abord, pour commencer, pourquoi et comment ce livre ?

Jean-Paul ALDUY : “Au démarrage c’est le hasard, je me mets à écrire, mon fils joue au piano, puis peu à peu il y a un besoin d’écrire… Et c’est vrai un besoin d’écrire aux nouvelles générations, leur dire que dans le monde qui est en train de s’ouvrir, on offre d’énormes opportunités, on a jamais été aussi bien interconnecté, on a jamais été aussi bien informé… Mais en même temps on est submergé par les signaux, le monde virtuel fini par être plus dense que le monde réel… Et le sens a déserté le signe. Mon message c’est : il faut s’engager dans la vie publique et éventuellement dans la vie politique. Parce que c’est dans cette obstination à essayer de comprendre le futur, à essayer de trouver un chemin dans le futur, que finalement la vie trouve sens et direction. Tout mon message est de dire voilà moi j’ai eu une vie très chaotique, les chemins de ma liberté sont chaotiques… Alors certes il y avait constamment la politique, parce que mon père et ma mère… Il y avait ça… Mais je m’étais bien juré de jamais faire de politique… Et peu à peu, il y a eu Mai 68, il y a eu un moment où j’ai été Trotskyste, mercenaire africain, mercenaire blanc en Afrique… C’est vrai que j’ai des chemins chaotiques, mais à travers ces chemins quand je regarde il y a tout de même quelques valeurs de base, la république, la laïcité, les valeurs de liberté, de démocratie… l’appétit de démocratie de délégation… et puis aussi l’envie de prendre part au chemin, de construire le chemin, d’être au milieu des gens, de prendre part aux événements pour essayer de fabriquer un projet collectif…

Après il y a une deuxième partie de ma vie qui a été donc la vie publique. J’ai toujours pensé, même si je ne l’ai pas appliqué, que “un homme un mandat et deux mandats successifs” était la réforme clé qui permettrait à la démocratie française enfin de se rénover, enfin de retrouver sa dynamique et éviter à la fois les votes populistes et les abstentions telles qu’on les voit… Alors c’est vrai je ne me le suis pas toujours appliqué, pourquoi ? Parce que quand je dis construire le projet collectif sur Perpignan – la gare, la rénovation urbaine des quartiers, etc. – je me rendais bien compte que si je n’avais pas en même temps un mandat de parlementaire, de sénateur, la présidence de l’Agglo, je n’avais pas la capacité politique d’agir ; ça c’est le problème de la France… On est obligé finalement de jouer les règles du jeu de la société française, jacobine, centralisatrice, pour pouvoir avoir une vraie capacité politique qui permette d’agir…

Mais je suis totalement convaincu que c’est une grosse, grosse maladie française et, sur la fin de ma carrière, j’ai essayé de redevenir, comment dire… cohérent avec mes idées du départ. J’ai commencé à dire à Jean-Marc (NDLR., Jean-Marc Pujol, qui lui a succédé dans le fauteuil de maire de Perpignan) voilà, je souhaite me concentrer sur la communauté d’agglomération parce que c’est là que se joue la modernité de notre territoire, c’est là que se joue sa capacité à recoller au peloton des métropoles, des villes où se concentre l’économie de la connaissance… et je te demande d’accepter les difficultés d’un maire, un maire est confronté aux problèmes de proximité, de contact avec la population, il faut écouter les gens et c’est vrai que ça prend beaucoup de temps.

Le travail de projet sur l’avenir, de marketing territorial nécessite d’avoir toute disponibilité dans le quotidien de nos concitoyens…

J’ai commencé à m’appliquer ça. Et maintenant c’est vrai j’ai décidé d’arrêter ma vie publique pour donner de moi l’image d’un homme public qui n’a pas l’addiction du pouvoir, et qui donc est capable de dire : la vie publique, la vie politique, c’est un moment de la vie, un moment où l’on donne une part de son énergie au service de ses concitoyens. Mais ce n’est qu’un moment, il y a d’autres moments. Il faut rester libre, il faut rester un homme libre et ne pas succomber à cette addiction du pouvoir que malheureusement je repère chez bon nombre d’hommes politiques, ici et ailleurs, qui amène le clientélisme, qui amène le cumul des mandats, qui amène le blocage de la démocratie, qui amène la gérontocratie…

Ce livre, qui a donc été construit tout à fait par hasard, ça c’est fait par petites touches, une sorte de puzzle… J’ai pas eu beaucoup de temps pour l’écrire… Fabrice pourrait en témoigner… C’était un dimanche matin, je me mettais devant ma page… et puis j’avais deux-trois heures devant moi… Parfois le mercredi matin…”.

– ouillade.eu : Vous publiez un livre à chaque élection municipale ?

Jean-Paul ALDUY : “La dernière fois c’était très différent… C’était en 2008, Mathis (NDLR., son fils) avait à peine 18 mois. Cet enfant se levait très tôt le matin, il avait faim. Je laissais Laurence (NDLR., son épouse) au lit, je me levais, je donnais à Mathis les compotes, je le mettais devant une télé avec Barbapapa… Puis j’avais devant moi tous les matins deux heures pour écrire. Je n’ai pas une vocation d’écrivain, l’écriture a toujours été pour moi la somme de hasards… Puis à un moment donné, le livre a pris forme, naturellement, ça s’appelait “Perpignan-Perpinya 2020″…

De matin en matin, le projet que j’avais en tête s’est petit à petit installé, à partir d’un simple cahier d’écolier posé sur la table de la salle à manger. C’est en posant des phrases, toujours par hasard, que la question m’est venue : Pourquoi pas écrire ?, Est-ce que je suis capable d’écrire ?… Les premières pages ça a été ça.

Ce livre s’adresse à la nouvelle génération. Ce livre c’est vraiment expliquer à la nouvelle génération qu’il faut s’engager. Si cette génération ne s’engage pas, si elle ne cherche pas à s’accrocher à une vision du monde, à une idée du projet collectif qui nous permettra d’avancer, si la nouvelle génération ne s’accroche pas à ça elle sera alors complètement malmenée par la société d’aujourd’hui.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux, les Twitter, les Facebook, Wikipédia, etc., font qu’on est submergés d’informations. Cette nouvelle génération, elle est quelque part… c’est terrible… on ne sait plus où est la frontière entre le virtuel et le réel… On ne fabrique plus de conscience, alors que ma génération fabriquait de la conscience, tout de suite on était sur le sens de l’histoire… Je m’adresse à ces jeunes en leur disant : attention il y a un énorme piège aujourd’hui. Si vous ne réagissez pas, si on n’est pas capable de réinventer la politique, si on n’est pas capable de donner à cette nouvelle génération une envie de s’engager, de s’engager dans la vie publique – cela peut être dans le mouvement associatif, ce n’est pas forcément un mandat – mais si on ne redonne pas envie à la nouvelle génération de prendre sa place dans la construction de la cité et de réfléchir au monde comment il fonctionne, ça va mal se terminer, c’est tous les populismes qui vont fonctionner, parce que on sera totalement pris par les pulsions, il n’y aura plus que les pulsions, il n’y aura plus la conscience… Et ces pulsions seront totalement manipulées par les informations dont on est submergés. C’est un peu ça de leur dire, aux représentants de la nouvelle génération, à travers les chemins de la liberté j’ai beaucoup hésité, mon chemin a été chaotique mais quelque part il y avait quelques fondamentaux : les valeurs de la république, la laïcité, la démocratie participative… Je leur dis, engagez-vous, si non attention danger !

Et dans mon livre, j’évoque le Front National. J’ai eu la blessure de 2005, j’ai eu la blessure de 2008… J’ai fait mon projet, j’ai continué… Aujourd’hui je regrette, Perpignan est sortie du trou, Perpignan a d’énormes possibilités… et d’ailleurs quand j’ai écrit les dernières pages, le TGV n’était pas encore arrivé… J’aurai pu faire un paragraphe sur ce moment que j’ai vécu de façon tout à fait émouvante… Maintenant je dis ça y est, vous vous rendez-compte l’économie numérique est en place, nous sommes très bien placés… La ville à économie positive, ce sera nous, nous avons déjà des filières d’excellence, on est la ville du sud de France : Bordeaux, Toulouse, Marseille, sont bien moins reliées au monde que nous ! Nous, on est à 1 heure et demie d’un aéroport qui fait qu’avec 650€ on est à Pékin. On a le Haut Débit, on a des filières d’excellence, on a un cadre de vie exceptionnel, on a une vie culturelle de bon niveau maintenant avec le théâtre de l’Archipel…”.

ouillade.eu : A propos du théâtre de l’Archipel justement, comment expliquez-vous cette incompréhension ambiante entre les Perpignanais et ce lieu qui abrite l’une des plus importantes scènes culturelles nationales ?

Jean-Paul ALDUY : “Cela mettra du temps, ça mettra du temps parce que les gens n’ont pas encore compris que justement dans ce monde en folie, c’est par la culture qu’on redonne. On ne sortira d’ailleurs du monde actuel, avec le choc des religions, etc., que par la culture. C’est-à-dire par le choc des cultures. L’Archipel des cultures, la confrontation des cultures, on va vers l’autre, et donc le théâtre de l’Archipel ce n’est pas un hasard si je l’ai appelé ainsi, c’est l’Archipel des cultures. Ce n’est pas un hasard si sur la façade il y a des citations en différentes langues : en français, en espagnol, en latin, en grec, en arabe, en hébreu, en portugais, en italien…

Et puis la culture, sous toutes ses formes – théâtre, danse, arts numériques, électro-acoustique… – elle peut amener la jeunesse.

Perpignan c’est ça ! Il y a des tas de talents. L’étape qui nous concerne aujourd’hui c’est : Est-ce que l’ordre ancien va étouffer cette ville, ou bien est-ce que la modernité va l’emporter du fait que la nouvelle génération va s’emparer des leviers de la ville, pour exploiter la dynamique que nous avons au travers de son positionnement géopolitique ? Dans les vingt ans qui viennent, notre territoire va exploser, grâce à la Ville-Monde.

Et donc ce bouquin c’est un peut ça : si vous ne faites pas de politique, les autres en feront pour vous. Engagez-vous ! Je vais vous dire. Finalement quand je regarde ma vie, c’est cet engagement politique qui a donné du sens à ma vie”.

– ouillade.eu : Votre engagement dans les prochaines municipales sera-t-il lisible ?

Jean-Paul ALDUY : “Dans les municipales il y a un véritable enjeu. Ou c’est la rechute ! Je reviens sur la personnalité de M. Aliot. En tant qu’individu, il n’y a pas beaucoup d’aspérité, mais il est porteur d’une idéologie, il est porteur d’une histoire, il est porteur de valeurs. Et il est porteur surtout d’une image, qui veut dire que si demain il était maire de Perpignan c’est Visa pour l’Image qui s’arrête dans les 30 secondes, c’est tout un ensemble de créateurs et tout cette dynamique culturelle qu’on est en train de mettre en place qui plaf s’arrête !… C’est d’ailleurs une image pour les investisseurs qui va se traduire par un refus de venir chez nous, c’est notre politique de marketing territorial qui s’effondre… Les investisseurs du sud passeront par-dessus nos têtes pour aller directement vers Toulouse et Montpellier, car ils savent, eux, ce que peut être une politique menée version Front national ; ils ont été vaccinés ! Y compris sur le plan social, cela ne peut qu’exacerber les tensions. Perpignan est une mosaïque de populations, de cultures, tout ça c’est un puzzle un peu compliqué, avec des tensions, des frictions, des affrontements parfois : ou on les pacifie, ou on fait de Perpignan une & plurielle, ou au contraire tôt ou tard ça explose.

L’arrivée du FN à Perpignan, ce n’est pas le problème du gendre de la fille, c’est le fait que ça ne peut qu’enclencher une mécanique de déclin économique, de tensions et de décohésions sociales.

On me verra pendant ces élections municipales pour dire ce que je viens de vous dire. La preuve en est que je me suis débrouillé pour que ce bouquin sorte en période électorale. Donc ce n’est pas tout à fait un hasard. J’aurais pu attendre et me donner un peu plus de temps pour l’affiner… Là il a été fait un peu vite… Si j’avais eu un peu plus de temps, il y aurait eu moins de redites, moins de lourdeurs… Je demande l’indulgence au lecteur. Ce sont des puzzles, les puzzles ne s’imbriquent pas tout à fait… Il y a même des puzzles dont l’image s’est effacée.

J’ai tenu à ce qu’il soit publier en pleine campagne électorale, car au moment où je renonce à être sur une liste c’est le temps pour dire : voilà, maintenant il y a un véritable enjeu. Je transmets ce message à la nouvelle génération. Par contre je vais me battre. Je vais me battre pour que ce soit Romain Grau qui soit le futur président de la communauté d’agglomération. Ce n’est pas un problème d’homme, encore que… L’Agglo, c’est la modernité. Et la modernité, c’est quoi ? C’est l’ouverture au monde. 1/ il faut commencer à parler plusieurs langues. Il faut être capable de parler au monde. Et pour parler au monde il faut parler anglais, castillan, éventuellement catalan parce que c’est à côté. Il faut parler anglais et castillan en plus du catalan. 2/ C’est la connaissance des mécanismes de l’entreprise. Il faut donc quelqu’un qui ait une vision du monde de l’entreprise. Vision nationale, vision internationale de l’entreprise. Et puis 3/ On est quand même dans l’Economie numérique. Il faut que ce soit des gens en capacité de vivre cette Economie numérique, parce qu’ils sont modernes, parce qu’ils sont nés avec ça, parce qu’ils sont nés avec un ordinateur dans les mains.

Donc, moi je considère qu’un gars comme Romain Grau a le physique de l’emploi. C’est un fils de viticulteur, il a de la terre dans les godasses, il a une main capable d’arracher les vignes, et de l’autre côté, parce qu’il est au cabinet Taj, il a un réseau international, il a vécu l’Economie mondiale. Ensuite, il parle anglais, il parle castillan, il parle catalan. Il a cette capacité internationale, c’est un jeune d’une quarantaine d’années, il est né avec la modernité, et il ne peut pas ne pas avoir cette modernité en tête et dans le cÅ“ur.

Enfin, on ne peut pas être un chef de bande, un chef de parti, aux commandes de l’Agglo, car il est nécessaire de respecter toutes les sensibilités. J’ai été un président de l’Agglo particulièrement respectueux de ce nécessaire et indispensable équilibre. J’ai respecté tous les maires, même les maires des plus petites communes, comme le maire de Calce, Paul Schramm, auquel j’ai confié d’importantes délégations car je considère que c’est une personne de très haut niveau.

Dans “communauté d’Agglo”, il y a “com-mu-nau-té” ! Ce n’est pas un vain mot. Le président de l’Agglo doit se situer au-dessus des partis, au-dessus des luttes partisanes pour réunir dans un projet collectif ces différentes communes qui ont une énorme capacité parce que leurs maires sont élus au suffrage universel direct. La base de la démocratie française, c’est la base communale, donc il faut respecter la démocratie communale.

Je regrette d’ailleurs que la loi interdise de mettre chaque maire vice-président de l’Agglo. Car chaque maire est issu du suffrage universel direct.

Il ne faut pas mettre un chef de bande aux commandes de l’Agglo, et ce afin d’éviter ce que l’on voit au Conseil général où tous les vice-présidents sont de gauche. La Région c’est pareil. Moi, je dis que tout le monde doit participer au projet collectif, quelle que soit sa sensibilité, quelle que soit la diversité de la commune qu’il représente.

Il faudra élire à la présidence de l’Agglo quelqu’un de Perpignan. Car si le prochain président n’est pas de Perpignan, la mutualisation ne pourra pas se faire. Le maire de Perpignan n’acceptera jamais de mutualiser un secteur ou une activité en confiant la direction à quelqu’un qui ne soit pas issu de l’exécutif municipal.

L’Agglo devra s’agrandir. On ne peut pas laisser Pia, Claira et Salses en dehors de l’Agglo. Cela n’a aucun sens. Cela ne veut rien dire. C’est pareil pour Saint-Cyprien. Si on ne se met pas dans le fil de la modernité de l’Economie touristique, eh bien on va disparaître !  Ou alors, une fois de plus, on va tomber dans le tourisme bas de gamme à très faible valeur ajoutée.

Pour monter en gamme, il faut avoir la totalité du film, il faut que de Saint-Cyprien jusqu’à Leucate on puisse monter un produit, faire une complémentarité, qu’on puisse avoir une politique de marketing, une politique de communication… Ce travail sur le tourisme, je n’ai pas pu le faire, nous l’avons à peine commencé, mais c’est vrai que c’est demain et que nous avons les atouts en main pour le concrétiser. Le tourisme aujourd’hui se fait sur Internet et pas sur des prospectus que certains stockent jalousement dans leur arrière-boutique… Je caricature, mais je le répète, il faudra étendre l’Agglo : étendre son territoire, étendre ses compétences, mutualiser…”.

Recueilli par L.M.